Valgaudémar: séjour sur la Frontière, épisode 1: Banc des Aiguilles (bonus: la carte postale de Melle Gerbault à René Vincent girl) 189



Le Champsaur-Valgaudemar, portion du massif située au sud de la vallée de la Séveraisse, représente peu ou prou l'extrémité sud des Alpes du Nord. Plus au nord: l'essentiel du massif des Ecrins, la montagne la plus importante du cru étant ici les Rouies dont tous les alpinistes du monde - entier -, hormis deux ou trois chamoniards inquiets des grands espaces, connaissent la voie normale à partir du refuge du Pigeonnier. Plus au sud: la Frontière, plus sauvage encore que celle racontée par James Fenimore Cooper, où déambulent les terribles meutes mythiques de loups assoiffés qui autorisent bien des dédommagements sur le dos du superhéros à la française, ce contribuable tondu plus court et plus souvent qu'un mouton des alpages (3 millions ½ d'€ d'indemnisations en 2021). Crier au loup est devenu dans notre pays une activité très rentable...

La montagne incontournable du cru est les Rouies. On devra envisager la voie Frendo de 1935, rectifiée six ans plus tard par son meilleur élève, le Marseillais Gaston Rébuffat.

Visible depuis les premières excursions d'une carrière alpinistique au Mont-Gioberney, l'ultime montagne au sud intéressant l'escaladeur est le Sirac, large mur rocheux dont l'arête nord (AD) est fréquemment parcourue. Cette course commence classiquement par l'escalade du versant Ouest de la brèche située entre le Banc des Aiguilles et le Sirac. Ce Banc des Aiguilles, formé comme le Sirac de gneiss migmatitique, comporte sur sa face Ouest plusieurs voies plus ou moins équipées de goujons. La plus facile, "Bravo Oscar" (AD) emprunte d'abord le couloir de la voie de Jean Jonot de 1971 sur 5 longueurs, puis s'échappe dans une longue traversée à droite pour rejoindre plus directement le sommet. On la doit à Pierre Biju-Duval et Charles Bonsignore en 1987, l'équipement ayant été repris en 2016. A l'origine, seule la longueur après le couloir (notre L6) avait été équipée ainsi que les seuls relais suivants. Aujourd'hui, l'équipement apparaît suffisant à l'exception regrettable de la dernière longueur du couloir (notre L5) et de la dernière longueur de la voie (notre L13) dont le rocher n'offre pas beaucoup de possibilités pour le placement de protections.

La balade commence à partir du petit parking précédant celui du Chalet-hôtel du Gioberney, afin de rejoindre le site du refuge de Vallonpierre. Les camping-cars encombrants auront avantage à attendre la soirée ou le petit matin pour pointer ici leur calandre afin d'avoir une chance d'effectuer leurs manœuvres dans ce parking alambiqué mais à ces heures moins saturé.


Dans la vallée de la Séveraisse, seul le dernier parking est interdit pour passer la nuit dans son véhicule. Partout ailleurs, la liberté du camping-cariste est respectée. Bravo!

Le sentier descend depuis le parking au torrent du Gioberney et le franchit aussitôt avant de remonter en pente douce sur l'autre versant.

Plus loin à gauche, ce sera pour le refuge de Chabournéou. A droite, en traversant ensuite la Séveraisse en amont de la cabane de Surette à 1644m, pour Vallonpierre.

On passe sous la Pointe de Chabournéou, située à gauche du Sirac, dont le couloir de neige de la voie Mettrier est une tentation insurmontable de début de saison.

Trois heures plus tard, l'objectif est en vue, dressé au-dessus d'une prairie gigantesque. Malheureusement aussi les inévitables moutons dévastant la montagne ici comme ailleurs...


Le Banc des Aiguilles apparaît tout petit à côté du Sirac. Mais il culmine tout de même 479 mètres plus haut que le refuge de Vallonpierre, les difficultés de la voie elle-même faisant 350 mètres. 

Le refuge de Vallonpierre est, avec celui de la Muzelle, trônant comme lui sur un site lacustre exceptionnel, l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire en montagne. Ces deux refuges exercent en effet, par une position dominante soigneusement calculée, une vue sur la totalité du paysage, évoquant immanquablement  les préventions d'un Michel Foucault à propos de la panoptique, organisation au cœur de l'organisation de certaines prisons et des sociétés de surveillance où l'essentiel n'est pas de surveiller tout le monde mais que tout le monde se sache constamment possiblement surveillé. D'où ce mal être qui vous saisit aussitôt quand vous cherchez où installer votre bivouac à proximité de ces refuges dont la vigie est une nuisance permanente. Notre Code civil ne s'y est pas trompé par ses articles 675 à 680, inchangés (à l'exception des 678 et 679) depuis leur formation par la loi du 31 janvier 1804, et interdisant la création de vues sur l'héritage d'autrui. Ce fut l'œuvre unanimement louée de Napoléon Bonaparte d'avoir su mettre fin à la Révolution sans provoquer de Restauration mais en en consolidant les acquis, notamment en impulsant la rédaction d'un Code civil unifié, donc égalitaire, en remplacement de l'exercice des anciens droits coutumiers. L'interdiction de créer une vue, c'est-à-dire de créer une position dominante sur un fonds servant, était bien l'expression de notre projet républicain d'organiser notre société autour de nos libertés, empêchant quiconque de dominer autrui.

Ici, on osa récemment, dans la droite ligne des coups d'Etat de l'affaire Fillon et du 16 mars 2020, parfaire le dispositif panoptique carcéral en introduisant des matons, sous la forme de trois énormes chiens d'attaque: un berger belge Groenendel, un patou, augmentés d'un effrayant Kangal... servant sans doute à évoquer sans faute l'univers d'Alan Parker dans Midnight Express... Il va falloir y réfléchir à deux fois si le projet candide était de passer au refuge un petit séjour tranquille en famille avec les enfants en bas âge...


Ceux qui songeraient à une tendance à l'exagération de l'auteur auraient avantage à consulter le cliché suivant afin d'être édifiés sur les aimables intentions de certains indigènes dans la prolifération de ces animaux dangereux. On lit bien: "Send more tourists!" le fauve ayant sorti les couverts. Visiblement, que le randonneur se fasse mordre parfois gravement en usant de sa liberté fondamentale d'aller et venir en fait ricaner quelques uns...


Le lendemain, la marche d'approche est minuscule. Le tout est d'éviter le troupeau laissé pour la nuit sous la garde des molosses. Ce jour-là, on passait très en amont, dans le pierrier.


L'attaque se situe au niveau du minuscule névé résiduel de gauche. Piolet et crampons sont inutiles à cette époque de l'année. La première longueur remonte le petit dièdre raide démarrant le long couloir aboutissant au gendarme en forme de bec de canard. On se protège dans les quatre premières longueurs (ensemble de III) avec friends, coinceurs câblés et sangles en sus des rares goujons. R1, R2 et R3 sont à construire.


R1 confortable à environ 20 mètres: une simple sangle.




L5 rompt avec le charme des premières longueurs car le rocher ne permet ici aucune assurance supplémentaire et seul un goujon unique décore la longueur d'au moins quarante mètres, cotée III. Il est surprenant de voir équiper des voies AD en prévision de futures cordées maîtrisant le niveau TD... Les alpinistes de niveau AD seraient probablement très heureux de pouvoir arpenter des voies AD sans devoir "exposer à outrance"... Afin d'augmenter les chances d'éviter un long vol complétement interdit, on pourra pour cette longueur alléger au maximum le sac du leader.

Voir le relais de première intention à l'article n°124.

Alléger le sac du leader, bien nettoyer la semelle des chaussons après chaque passage dans l'herbe.

Puis on quitte enfin le couloir et donc la voie Jonot de 71 pour "Bravo Oscar". Il s'agit de remonter la fissure verticale très visible de R5 et nettement à droite du couloir. Cette longueur est particulièrement bien équipée et l'on peut également ajouter des coinceurs. Un petit V.


Le bloc coincé de la voie Jonot mentionné dans le Labande sera de peu de secours car on ne le verra qu'après s'être engagé dans L6. Il ne servira qu'à confirmer a posteriori le bon itinéraire.

L7 est un grand dièdre évasé et couché vers la droite (III).


L8 (IV) est l'endroit où il ne faut pas se perdre car la voie en croise une autre. On laisse donc les goujons de cette voie partir vers le haut et à gauche tandis qu'on traverse nettement à droite (sans toutefois franchir un angle) sur une dalle sans particularité. L9 (IV) est de nouveau en traversée à droite mais plus ascendante, sous des coulures noires. L10 (IVsup) remonte la suite de la dalle dans une fissure fine herbeuse par endroits.


L11 (III) croise la voie "Steak à l'anchois" pour faire relais au pied du ressaut final.

L11 sort sur une courte dalle claire et très couchée au sommet de laquelle se trouve un des relais de "Steak à l'anchois" que l'on dépasse de quelques mètres pour trouver R11.


L12 et L13 (ensemble de petit IV) remontent une longue fissure-cheminée large, L13 étant comme L5 insuffisamment équipée (peu d'emplacements propices pour protections supplémentaires), avec le facteur aggravant qu'il s'agit de la dernière longueur de la voie où une cordée peu aguerrie a perdu depuis longtemps son billet de retour facile.
On arrive très vite et sans difficultés au sommet du Banc des Aiguilles en suivant la crête sommitale.

Le petit parcours pour rejoindre la brèche du Sirac et la  descente n'étant pas complètement débonnaires, on se félicite de pouvoir auparavant pique-niquer confortablement pour reprendre des forces.

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La descente, contrairement à la littérature, n'est pas "à vache". Il faut d'abord rejoindre la brèche située entre le Banc des Aiguilles et le Sirac, mais un premier gendarme nécessite un rappel (ou deux courts) pour en descendre. Un second gendarme plus râblé doit se contourner en descendant largement par le versant Est puis en remontant à la brèche, en prenant garde de ne pas passer pendant une énorme chute de pierres bruyante dévalant des névés du Sirac. Enfin arrivé à la brèche, on trouve un rappel sur deux goujons reliés par une cordelette en haut du couloir très raide à cet endroit. Notre descente selon le croquis suivant a commencé ici:


Au total, une voie variée, équipée partiellement, dans une ambiance très montagne grâce à la descente nécessitant une longue désescalade dans le couloir de la brèche coupée de rappels divers, mais qui mériterait quelques points supplémentaires dans la dernière longueur du couloir de montée (L5) et la dernière longueur de la voie (L13).


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Suggestion de matériel: (non exhaustif)
rappel 2 x 50 mètres
chaussons confortables pour la dalle
4 grandes sangles et leurs mousquetons
1 marteau pour la cordée et 3 pitons
cordelette 6 mm, plusieurs mètres, et un canif
1 jeu de coinceurs câblés et 1 décoinceur par personne
1 jeu de friends variés avec leurs mousquetons
7 dégaines légères
1 plaquette d'assurage, 2 mousquetons à vis, 1 prusik avec un mousqueton simple, par personne
casque
trousse de secours
sac de montagne léger pouvant contenir facilement les chaussures
(crampons et piolets inutiles à cette période de l'année)
nourrice d'eau en sus de la gourde pour éviter les allers-retours au point d'eau



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Un écart  de langage qui ne ressemble pas à Melle Gerbault... Sans doute a-t-elle compris que la servilité de cette profession nous emmenait directement vers une société de type totalitaire.