Coincer son rappel: Que faire? (et conditions en Oisans à mi-juin) 143

Alpinisme sans Guide: un manuel, deux blogs

Coincer son rappel est une technique qui rencontre un certain succès en haute-montagne... Vous commencez à tirer quelques mètres de corde puis tout se bloque, et vous avez beau cracher dans vos mains pour mieux serrer la gaine, varier les angles de tire, utiliser vos meilleurs jurons qui d'ordinaire sont d'une efficacité remarquable, tirer de toutes vos forces en vous y mettant à plusieurs, rien n'y fait. En gros se présentent alors quatre solutions:

1/ La plus honteuse: dégainer son portable. Si vous êtes ici, c'est que vous avez admis depuis longtemps qu'un tel geste ne peut se concevoir tant que la cordée bénéficie de huit membres en état de fonctionnement (pour une cordée de deux personnes...). Affaire classée.

2/ La plus aventureuse: abandonner la corde. Il faut alors être certain de pouvoir désescalader la totalité de la paroi restante, le plus habile passant en premier pour pouvoir parer son compagnon dans les pas difficiles et guider ses pieds sur les prises. Il faudra aussi ne pas avoir à traverser le glacier ramolli par le soleil. Au besoin, on attendra alors le regel nocturne pour réduire le risque de tomber dans une crevasse. Le tout est assez scabreux et ne peut s'envisager que si l'on connaît parfaitement la suite du programme.

3/ Le compromis: récupérer une portion de la corde. Il s'agit alors d'obtenir le maximum de longueur possible. On tire le brin qui vient le mieux jusqu'à ce qu'il se coince, puis un élément de la cordée grimpe le plus haut possible (assuré au besoin en utilisant l'extrémité de la corde ravalée) pour sectionner la corde très haut tandis que l'autre élément de la cordée tend au maximum la corde afin de profiter de son élasticité pour gagner encore un mètre ou deux. Si l'on obtient une vingtaine de mètres, on pourra s'encorder plus tard dans la traversée du glacier, ou bien l'utiliser en simple (et l'abandonner) pour franchir la rimaye. On pourra également réaliser de minuscules rappels de 10 mètres permettant de franchir les passages de désescalade les plus difficiles, ou s'encorder pour cette désescalade. Cela change tout par rapport à l'abandon pur et simple de la corde.

4/ Remédier au problème: remonter jusqu'au relais en utilisant la corde. C'est bien sûr la meilleure option quand elle est possible. Elle n'est pas possible quand le relais était juste suffisant pour descendre précautionneusement en rappel sans secousses, mais que l'on redoute une solidité insuffisante pour supporter les chocs d'une remontée sur corde fixe (voir page 103 de notre manuel).

Une cordée ayant déjà vécu un certain nombre de mésaventures (lire une anecdote en face sud de la Meije à la page 109 de notre manuel) prend l'habitude de tester le bon coulissement de la corde une fois le premier grimpeur descendu, afin que celui resté au relais puisse améliorer son organisation (souvent abandon d'un mousqueton) pour limiter les frottements. Aussi est-il rare que le coincement de la corde, une fois les deux éléments de la cordée descendus, se produise dès le début du rappel de la corde. Cela signifie qu'on n'a plus l'accès direct qu'à une seule extrémité de la corde une fois celle-ci bloquée. Il n'est pas question d'entamer une remontée sur corde fixe avec nœuds autobloquants sur un seul brin alors que la corde peut se décoincer sans crier gare. La solution consiste à encorder le grimpeur le plus fringant de la cordée à l'extrémité du brin que l'on détient et à l'assurer pendant son escalade vers la seconde extrémité de la corde montée de quelques mètres. Ce grimpeur se protège normalement en plaçant sangles, coinceurs ou pitons, selon les possibilités du terrain. Arrivé à destination (l'autre extrémité de la corde), il peut alors installer ses nœuds autobloquants sur les deux brins à la fois et se lance dans sa longue remontée sur corde fixe.

Cette remontée doit être la moins brutale possible pour trois raisons:

1/ Le relais est énormément sollicité par ce genre de performance. Il faut le ménager même s'il paraissait solide.

2/ La corde est dynamique, ce qui provoque un effet yo-yo qui crée un frottement en va-et-vient aux endroits où la corde s'appuie sur le rocher. Si une arête du rocher est saillante à proximité du relais, la zone de corde correspondante va être sciée consciencieusement pendant toute la remontée, et ce sans possibilité pour le grimpeur de constater la progression de la détérioration de la gaine. Ce problème ne peut être résolu que par la prévention: soit en plaçant un sac de plastique épais sous la corde avant de descendre en rappel, soit en émoussant au marteau l'arête dangereuse, soit en allongeant les cordelettes du relais.

3/ Remonter sur corde fixe peut être épuisant si l'on n'est pas suffisamment technique ou si l'on se laisse gagner par le stress de la situation (un orage imminent, des chutes de pierres, une erreur évidente d'itinéraire, etc.). Dans ce cas, il faut penser à la possibilité de la survenue du syndrome du harnais qui est explicité à la page 281 de notre manuel et à l'article n°55 de ce blog. Emportez aussi préventivement une barre énergétique dans la poche pour éviter l'hypoglycémie qui peut survenir facilement, même chez quelqu'un qui y est peu sujet, lors d'une forte douleur due à une chute de pierre.


LA PREVENTION:

Bien sûr, prévenir le coincement est l'idéal. Les facteurs favorisant le coincement sont: le terrain accidenté (présence d'écailles, de béquets, d'arêtes), la végétation (pour la moyenne montagne), une forte angulation de la corde due à une vire ou un rocher proéminent sous le relais, une corde mouillée, une corde vieillie (une gaine devenue prématurément rugueuse car trop exposée au soleil pendant les longues montées au refuge...), un nœud de jonction obsolète comme le double nœud de pêcheur ou le nœud de tisserand, un rappel trop long sur terrain compliqué fait de plusieurs ressauts, des cordelettes de relais trop serrées et rugueuses, un vent fort (qui favorise l'envol de la corde rappelée dans le décor, autre cas de figure qui nécessite une escalade jusqu'au coincement de la corde et la fabrication éventuelle d'un nouveau relais de rappel, ou mieux: la désescalade de ce qu'on vient de grimper). [Lancer un rappel par grand vent, c'est à l'article 78.]

Il faudra éviter autant que possible les très longs rappels, surtout par temps de pluie, ne pas hésiter à abandonner un mousqueton pour améliorer le coulissement dès qu'on a un doute, et favoriser la désescalade dès qu'elle est possible.

Quand une fissure étroite ou une écaille se trouvent idéalement placées sous le relais pour accueillir irrémédiablement le nœud de jonction, et qu'une fois le premier grimpeur descendu, celui-ci constate qu'on est loin d'avoir utilisé toute la longueur de corde, le dernier grimpeur, avant de descendre à son tour, a avantage à faire descendre le nœud de jonction en décalant les brins jusqu'à ce que ce nœud ait dépassé le piège.

Nœuds de jonction pour rappel

Les pages du manuel consacrées au rappel sont les pages 93 à 101 (Note: une coquille subsiste sur cette page 94 dans le manuel mis en ligne. Elle sera prochainement corrigée.)


Alpinisme sans Guide: un manuel, deux blogs

Alpinisme sans Guide: deux blogs, un manuel technique




CONDITIONS EN OISANS à MI-JUIN:



Douce Maye, voie équipée, AD+ peu soutenu


Râteau et Meije depuis le sommet de la Tête de la Maye



Le refuge gardé est fermé cet été pour cause d'élargissement de la fente connue de tous les montagnards du cru

Mais le refuge d'hiver, non gardé, est ouvert!



Au pied des Cornes de Pié Bérarde, l'autochtone