Augmenter son niveau en glace sans souffrir 58

La cascade de glace peine à trouver son public dans le petit monde des montagnards. On peut avancer plusieurs causes. La première est que le très populaire ski de randonnée, jadis ski de printemps, se pratique maintenant dès les premières neiges, en sortant s'il le faut ses skis-cailloux tant que la couche blanche n'obture pas complètement les éboulis ou les vernes. Il vient donc en concurrence directe de l'activité de glaciériste. La seconde est que l'attirance pour l'escalade dans un frigo est faible. Elle correspond mal à l'image hédoniste de la grimpe torse nu sur le calcaire blanc et chaud du sud de la France qu'ont su vendre avec talent les Edlinger et consorts. D'autres raisons sont sans doute le risque car le vol reste peu conseillé en cascade, la difficulté de connaître les conditions et la cohabitation avec d'autres cordées parfois problématique en raison des chutes de glace fréquentes. Le grimpeur, au contraire de l'alpiniste guerrier, est un être plutôt pacifiste et l'idée d'aller s'empoigner dans les pentes froides pour y disputer les préséances a du mal à le séduire tout à fait… Si une profession remplit maintenant difficilement ses stages de cascade de glace, sans doute récolte-t-elle ce que certains ont semé pendant des années par de mémorables gueulantes qui en ont découragé plus d'un. Encore cette année, le premier amateur ayant rentré une sortie sur le site d'Ice Fall mentionne un guide colérique (sic) dans la Colère du Ciel aux Fréaux.  Ils voulaient les cascades pour eux tout seuls, ils les ont…


Pourtant, la cascade de glace reste incontournable si l'on envisage de fréquenter l'été prochain le pays au-dessus des moraines. Faire l'impasse condamnerait par exemple à se priver  de l'esthétique éperon Migot au Chardonnet, ce qui dépasserait bien sûr l'entendement et déconcerterait définitivement un Philippe Batoux.
Eperon Migot du Chardonnet
L'éperon Migot est celui au centre de la photo. 
L'attaque est indiquée par la flèche, plus ou moins décalée selon les possibilités de la rimaye.

Même pour les courses de rocher pur, la cordée pourra bloquer tristement à une rimaye compliquée comme celle du pilier sud des Ecrins en 2004 sur la photographie suivante.


Pareillement à la petite pointe Lachenal, l'accès à la voie Marylène (une voie Sombardier), d'une difficulté abordable et très peu équipée, donc parfaite, réclamera dès le milieu de saison une grande longueur de glace dure en traversée ascendante vers la gauche au-dessus de la roture. Les purs rochassiers devront alors se contenter de suivre la file d'attente de la voie Contamine, une escalade aux relais spités située à droite et qu'on aborde de plain-pied, ce qui est dommage.

Les vidéos et les photographies parfois spectaculaires de cascade de glace peuvent donner le sentiment que "la cascade, ce n'est pas fait pour moi". Si ces grimpeurs voyaient les actuelles séances de cascade de glace de notre cordée paresseuse et tamalou, ils seraient rassurés! Cela consiste plus souvent en la pose d'une moulinette dans une petite cascade d'une longueur que dans la remontée d'un long cigare à réussir mort ou vif.  Si la cascade est en mauvaise condition, ce qui n'a pas d'importance quand la moulinette peut être posée d'emblée en passant par une pente à droite ou à gauche de la cascade, c'est la garantie d'être seuls. Nous répétons la longueur plusieurs fois en variant les passages, parfois en installant une broche de renvoi vers le haut de la cascade pour éviter un pendule. On cherche les endroits les plus pauvres en glace, on teste des ancrages minimalistes qu'on n'oserait jamais utiliser en tête, on tente de reproduire la totalité de la gestuelle acquise à la salle d'escalade et bien sûr à grimper sans dragonne. Entre deux longueurs, la doudoune nous attend, la thermos n'est jamais loin… Sans se faire peur, sans se brutaliser, dans la tranquillité, nous entretenons ou améliorons notre technique dans l'idée de faire nos gammes en vue de l'été prochain. La cascade de glace pratiquée ainsi est très éloignée de tout héroïsme.

Précisions sur la corde de rappel

En cascade de glace, le programme peut varier au dernier moment en raison des conditions ou de la fréquentation. On part pour un plan A avec un plan B dans la poche et on finit souvent dans un plan C. Il est donc peu probable d'être sûr et certain de pouvoir poser telle moulinette dans telle cascade connue et emporter une corde à simple va empêcher de changer son objectif. Comme les sacs sont suffisamment lourds, on n'emportera donc qu'une corde de rappel et c'est cette corde, c'est à dire deux brins de 50 ou 60m, qu'on posera en moulinette. Ceci mérite trois précisions:

1/ Les nœuds de jonction utilisés pour un rappel ne sont pas ceux recommandés dans l'industrie pour abouter durablement deux cordes. Ils méritent une surveillance quand on les utilise longuement à l'occasion de nombreux rappels successifs. Ils n'ont de plus jamais été préconisés pour abouter deux cordes pour un travail en moulinette. On devra donc réutiliser le nœud d'aboutement de référence qui est le double nœud de pêcheur. Sur corde mouillée, on préférait utiliser dans les années quatre-vingt-dix  le nœud de tisserand flanqué de deux doubles nœuds d'arrêt (voir page 94 de notre manuel) car il était plus facile à défaire après forte tension. Malheureusement, ce nœud n'a pas été testé récemment en tant que nœud d'aboutement et il devient impossible de le conseiller sans réserve.

2/ Le passage du nœud se fait en utilisant une deuxième plaquette d'assurage après le nœud ou en commençant avant le nœud à assurer avec un demi-cabestan sur mousqueton piriforme à vis, puis sur une plaquette après le passage du nœud. On ne retire donc pas le dispositif d'assurage le temps de faire passer le nœud mais on installe un second dispositif après le nœud en conservant le premier. Il faut prévoir ce passage de nœud au  moment où le grimpeur est dans une zone commode pour qu'il ne soit pas en tension sur la corde. Il est très facile de choisir ce lieu pour l'assureur en se rapprochant ou en s'éloignant plus ou moins du pied de la cascade.

3/ Les cordes à double, très légères, sont aussi très fragiles. Ne pas oublier que la norme impose une résistance pour un brin à 5 chutes de facteur proche de 2 d'un poids de 55 kg et non d'un poids de 80kg comme pour une corde à simple. Jugées plus fiables qu'un test unique (peu reproductible), ces 5 chutes sont estimées équivalentes à une seule chute d'un poids de 80kg (voir ce lien du laboratoire de l'ENSA). En pratique, de nombreux fabricants dépassent volontairement la norme et le brin est capable d'encaisser deux chutes de facteur proche de deux pour un poids de 80kg. Ceci n'a tout de même rien à voir avec les parfois 11 chutes permises par une corde à simple. Pensez donc à épargner votre corde si vous souhaitez pouvoir l'utiliser ensuite en premier de cordée. Certes, vous ne volez pas en facteur de chute proche de 2 en moulinette, mais la norme est réalisée avec une corde neuve et non avec une corde qui a été longuement maltraitée. Déposer son poids sans sauvagerie excessive pendant le travail en moulinette n'est donc pas complètement superflu…

4/ S'il fallait pour une raison ou une autre bloquer le dispositif d'assurage, on utiliserait la technique suivante:

Blocage du dispositif d'assurage

Blocage du dispositif d'assurage
On introduit une boucle de la corde libre dans le mousqueton qui tient la plaquette.

Blocage du dispositif d'assurage
On réalise un nœud de mule en introduisant de nouveau une boucle de la corde libre
dans la première boucle et on serre. A ce stade, si on tire la corde libre, le nœud de mule lâche et
on revient en position d'assurage.

Blocage du dispositif d'assurage
On réalise une clef (la moitié d'un double nœud de pêcheur) avec la boucle précédente,
autour de la corde allant au grimpeur. Ceci sécurise le blocage.



(Remarque: On peut se servir de ce procédé pour se bloquer en rappel quand on a choisi de ne pas utiliser d'autobloquant. A ce sujet, voir ici.)