Petite course farouche de l'Oisans: l'arête Sud du pic de Chamoissière 84

Pic de Chamoissière, arête Sud
Glacier du Dragon, brèche Gaspard et arête Sud du pic de Chamoissière

Parfaite pour vérifier ses aptitudes à grimper en rocher cassant, l'arête Sud du pic de Chamoissière permet, en saisissant les prises un peu brutalement, d'en rapporter quelques unes à la maison… Déconseillée à une cordée débutante, cette course conviendrait à des chamoniards trop habitués à l'irréprochable protogine monolithique et qui voudraient savoir ce qui ce cache au juste derrière l'expression Oisans sauvage. La fragilité du rocher n'est certainement pas étrangère à la complexité géologique de la faille du vallon d'Arsine qu'a montrée Maurice Gidon.

Pic de Chamoissière, géologie

Pic de Chamoissière, géologie


L'aventure commence par une promenade champêtre à partir de l'Alpe de Villard d'Arène. Du parking, on observe déjà le versant nord où se déroule le retour.

Pic de Chamoissière, versant nord
1.Sommet du pic de Chamoissière (jonction des arêtes S et NW), vu du parking
2.Goulotte Cret
3.Couloir de la Baïonnette
4.Arête NW de descente
(La portion en pointillés blancs est cachée par le rocher.)

On prend le chemin du col d'Arsine en slalomant entre les chiens de prairie.





Avant les derniers lacets plus raides menant au col, il faudra prendre les pentes d'herbes vers la droite. Mais il est plus judicieux de poursuivre jusqu'au col d'Arsine (encore 10 minutes) pour avoir une vue sur l'itinéraire nocturne du lendemain. On repérera ainsi facilement le torrent du Rif de la Planche et la sente qui longe sa rive gauche (à droite en montant).

Pic de Chamoissière, versant est
Pic de Chamoissière, versant est, vu du col d'Arsine
1.Sommet
2.Brèche Gaspard
3.Torrent du Rif de la Planche
4.Glacier du Dragon
5.L'arête Sud

Une fois réalisés les repérages, on redescend les derniers lacets du chemin pour trouver un emplacement de bivouac. Eau, marmottes, hermines à volonté. Si l'orage est prévu pour le soir, éviter un terrain inondable…

Bivouac sous le col d'Arsine
1.Vers le col d'Arsine
2.Sommets des Agneaux
3.En haut à droite de la photographie, direction vers le torrent du Rif de la Planche

On peut commencer cette course au départ du refuge de l'Alpe de Villard d'Arène ou du chalet de Chamoissière, mais il faudra le lendemain trouver le torrent de nuit sans avoir pu faire de repérage, ce qui risque d'être sportif une nuit sans lune.

La remontée du glacier du Dragon est débonnaire jusqu'à la pente terminale. Celle-ci en revanche est fort raide et pourrait nécessiter deux piolets pour le leader (selon l'aisance de celui-ci) en neige mauvaise. Cette partie raide donne un certain engagement à la course pour une cordée qui redouterait de redescendre par ici, obligeant à la réussite.
(S'il fallait vraiment redescendre cette pente impérativement - méforme, itinéraire non trouvé, blessure… - mais que la cordée pense que l'association inclinaison - qualité de la neige atteint la limite de ses capacités, le deuxième piolet du leader serait le bienvenu. Si la neige est foireuse et que le temps n'est pas compté, on peut tranquillement attendre le soir pour que ce versant Est repasse à l'ombre et que la neige redurcisse. On peut également installer des corps morts profondément dans la neige en utilisant pour le départ une grosse pierre allongée trouvée sur le rocher puis des bâtons de marche en bois* qu'on aurait utilisés comme aide à la montée avec l'idée de les abandonner au pied des rochers, qu'on casse en deux et dont on assemble les deux morceaux pour gagner en résistance. Il sera alors préférable en neige très molle d'utiliser la corde fixée en double sur la sangle du corps-mort comme une main courante plutôt que faire un rappel. On désescalade tout en faisant coulisser un autobloquant le long de la corde, sans mettre son poids sur celle-ci. Ainsi, le corps-mort est moins sollicité et la corde permet simplement de corriger une amorce de déséquilibre. L'opération demandera certes beaucoup de temps mais permettra d'éviter la glissade en vrac de la totalité du glacier du Dragon.)
*Pour utiliser efficacement un bâton en bois sur la neige, monter une pointe métallique rudimentaire à l'extrémité pour éviter les dérapages. Voir ici.

Glacier du Dragon
Sur le glacier du Dragon. La zone éclaircie est la portion raide qui fait pester contre le mauvais regel.

On arrive quelques mètres sous la brèche Gaspard à une zone d'accès au rocher évidente. L'attaque est bien ici, sur une petite terrasse déversée avec une écaille douteuse derrière laquelle installer deux coinceurs pour ôter les crampons avec plus de sécurité. Mais c'est assez précaire.
On escalade au plus facile des gradins de très mauvais rocher et, soulagement, un bon relais avec deux pitons se présente 20 mètres au-dessus. Encore quelques passages de gradins plus ou moins délités pour rejoindre l'arête. L'itinéraire suit ensuite le fil jusqu'au sommet, avec plusieurs passages verticaux mais équipés de pitons solides. On complète par des sangles de 120cm sur les becquets, des friends petits et moyens (flexifriend Wildcountry n°3 inutile) et des coinceurs câblés (n°1 à 7). Le pas de IV dans le dernier et très court ressaut est un pas beaucoup plus dur que du IV mais se franchit facilement  en tirant doucement sur une grosse corde fixée à un piton. (Les chaussons seraient sans doute un handicap dans la voie qui comporte beaucoup de passages entre de gros blocs.) L'arête finale est aérienne mais facile.

La vue depuis le sommet sur le pic Bourcet, la Grande Ruine et le pic Gaspard est imprenable.

La Grande Ruine
1.Pic Bourcet
2.Tour Choisy
3.Col de la Casse Déserte
4.Grande Ruine, pointe Brevoort
5.Grande Ruine, pic Maître
6.Refuge Adèle Planchard

Pic Gaspard
Le pic Gaspard et sa fantastique arête SSE parcourue par la voie Devies-Gervasutti (rocher cassant également dans la première longueur)


Quant à la vue sur l'arête NW de descente (orientée W au début puis NW), croulante et interrompue plusieurs fois par des brèches qui semblent infranchissables depuis le sommet, elle fiche un peu la frousse.

Arête NW du pic de Chamoissière
Vue sur l'arête de descente depuis le sommet. Il faut atteindre le lieu noté 1. Puis on mettra les crampons au lieu noté 2 qui est le début de la descente en neige.

Finalement, la descente de l'arête NW est plus facile qu'il n'y paraît. On reste à peu près sur le fil où le rocher est meilleur, ou sur le côté droit du fil pour bénéficier de passages moins exposés. Comme souvent, si on s'éloigne trop, le terrain devient très délité et on revient instinctivement vers le fil. Les brèches sont en réalité peu profondes et se franchissent sans difficulté. Aucun rappel. 
La descente possible en rappels de 50 mètres du couloir de la Baïonnette ne donne pas envie en conditions sèches car il est rempli de pierrailles cernant un mince filet de neige molle. Toutes les chances pour s'en prendre une sur la tête ou coincer la corde. De plus, l'arrivée au bas du couloir ne fait pas échapper au pentes raides du glacier de Chamoissière. 
Ces pentes demandent beaucoup de précaution si la neige est très ramollie, ce sera l'ultime effort de concentration de la journée.

Il n'y aura plus qu'à aller récupérer les affaires de bivouac par des pentes d'herbe (quelques minutes) et se faire chauffer un dernier café sous l'œil des marmottes colocataires de la veille.

Au total une course variée, très peu fréquentée, bien équipée dans les passages difficiles, sur un terrain très sauvage. Tout se passe bien à la condition de savoir prendre son temps* dans le choix des prises et dans le placement des protections. Et n'oublions pas qu'en début de saison, on essuie les plâtres. Le rocher a été victime de la cryoclastie tout l'hiver (voir page 104 du manuel). Jay Smith nous le dit et nous le répète: "Take your time."
Et ici, luxe suprême, aucun risque de manquer la benne!


*Mais partir tôt, pour la neige (lever à 3 heures). Le soleil levant  atteint le haut du glacier du Dragon un peu après 6h un 5 juillet. Il vaut mieux alors en avoir presque fini avec ce glacier si l'isotherme 0° est élevé (très supérieur à 4000m).

Matériel conseillé pour une cordée qui ne s'en remet pas au hasard quant à sa sécurité et son autonomie (non exhaustif):
Un piolet avec panne pour un membre de la cordée.
Un marteau-piolet de type Sum'Tec (Petzl) ou Naja light (Simond, excellent choix) pour le second membre de la cordée, afin de pouvoir retaper les pitons.
Eventuellement, un second marteau-piolet léger de type 3ème main (Fox de Simond) selon l'aisance du leader en neige (voir supra).
Corde à simple fine de type multilabel de 50 mètres. (Toute la course ne se fait pas à corde tendue, sauf pour les cracks à faible espérance de vie…)
Crampons, baudriers, casques, matériel de sécurité sur glacier (une broche à glace chacun, autobloquants, sangle courte pour pédale…), lampes frontales.
Quelques mètres de cordelette 6mm pour prévoir une réchappe possible (suite à une blessure par chute de pierres par exemple).
5 sangles cousues de 120cm.
1 jeu de coinceurs câblés du n°1 au n°7.
4 friends petits et moyens (n°1/1,5/2/2,5 en Wildcountry) équipés de leurs mousquetons.
4 ou 5 pitons variés (pas de cornière) en cas de réchappe.
5 dégaines et 5 mousquetons libres.
Un mousqueton à vis directionnel et un descendeur avec son mousqueton à vis, par personne.
Gants de ski, lunettes de soleil.
Couvertures de survie et trousse de secours (voir page 219 du manuel).
Pages du Labande (Guide du Haut-Dauphiné, massif des Ecrins tome 2, François Labande, Cartothèque Edition, 2007) découpées ou photocopiées correspondant à l'approche, la voie et la descente, textes et photos, et un morceau de carte au 1/25000ème comprenant toutes les descentes possibles y compris celle vers les sources de la Romanche (itinéraire 97 du Labande), au cas où.

François Labande, Guide du Haut-Dauphiné, tome 2


Boussole pour identifier l'arête de descente.
Téléphone portable, mais sans compter dessus, le portable ne passant même pas au chalet de Chamoissière.