Loi Fauchon suite: la solution de Vingrau 40

Loi Fauchon et alpinisme sans guide

En avril 2010, survint sur le site d'escalade réputé de Vingrau (proche de Perpignan) un grave accident d'escalade. Tandis qu'un guide de haute-montagne, hors activité professionnelle, escaladait une voie équipée, le morceau de rocher sur lequel il grimpait se détacha et tomba sur sa compagne qui l'assurait. Celle-ci fut gravement accidentée avec de lourdes séquelles. 
Les victimes de cet accident engagèrent une procédure contre la FFME qui avait signé une convention d'escalade avec la commune propriétaire des lieux. La FFME fut condamnée, en tant que gardien de la chose (la chose étant le rocher d'escalade), et donc sur la base de la responsabilité civile dite "du fait des choses", c'est à dire sans faute (expliquée page 240 de notre manuel Alpinisme sans guide), à leur verser une somme d'1,2 millions d'euros (jugement du 14 avril 2016, TGI Toulouse), payée par l'assurance Allianz Iard de la fédération.
La FFME tenta ensuite une procédure devant le tribunal administratif de Montpellier pour faire porter la responsabilité sur la commune de Vingrau. Aucune faute de la commune vis à vis de la convention d'escalade signée entre elle et la FFME n'ayant été retenue, la FFME fut déboutée.
Entre temps, la commune interdit l'escalade sur le site de Vingrau  en juin 2012 et se désengagea de la convention d'escalade en octobre 2012. L'ensemble des communes ayant adhéré au groupement de gestion appelé "route de la grimpe", à la suite d'un autre accident survenu à Opoul où l'on mit en défaut le scellement d'une broche, dénonça la convention et l'escalade fut interdite pendant de longs mois sur la totalité des sites d'escalade de la région.

La gravité du drame, ses conséquences judiciaires très lourdes pour la FFME, puis sa solution réglementaire liberticide vécue sur le moment comme définitive, émurent de nombreux acteurs du domaine de l'escalade et de l'alpinisme. Le fait que la machine collective à broyer les individus fut mise en branle par un professionnel de la montagne dont on pouvait s'attendre à ce qu'il admette les risques inhérents à son métier, ajouta sans doute à l'incompréhension de l'implacable logique de l'enchainement des faits conduisant à l'interdiction de l'activité. Verrait-on un jour écrit dans la Constitution française que "la prise de risque, pour autrui comme pour soi-même, n'ayant d'autre finalité que l'exercice d'une activité de loisir, est interdite"? *

Par chance, les élus, le préfet, la gendarmerie, le SDIS, réfléchirent! Ce qui, dans notre France de 2018, constitue une première performance qu'il faut saluer.
Par chance, ils surent lire la loi Fauchon (voir à la page 237 de notre manuel Alpinisme sans guide) qui concerne la responsabilité pénale en matière d'infractions non-intentionnelles, en sachant distinguer les exigences du lien de causalité direct (alinéa 3 de l'article 121-3 du Code Pénal) de celles du lien de causalité indirect (alinéa 4 du même article).
Par chance, ils conclurent qu'un site naturel, nonobstant l'existence d'un propriétaire, est une chose sous la garde de personne, pour peu qu'on en informe soigneusement ses utilisateurs. 

Nous laissons le lecteur apprécier l'intelligence, précieuse car rare, des panneaux installés sur le site d'escalade de Vingrau, en souhaitant qu'ils résistent durablement aux futures tentatives judiciaires, à l'occasion d'un nouvel accident, qui ne manqueront pas de se présenter.

Mathieu Laine avait suggéré (La Grande Nurserie: en finir avec l'infantilisation des Français, éditions Jean-Claude Lattès, 2006)**, sous forme de boutade bien sûr, d'inscrire au frontispice des maternités que la vie pouvait occasionner de graves dommages et parfois la mort…

Etre alpiniste sans guide, c'est sans doute être adulte, tout simplement.

* On n'oublie pas la prose précise d'un Emile Javelle (Souvenirs d'un Alpiniste, 1885, bibliothèque numérique romande): "Touriste inutile? Non, il n'est pas inutile, celui, si humble qu'il soit, qui vient payer un sincère tribut d'admiration aux Alpes et y retremper son âme, et qui, sans savoir peut-être les expliquer ou les peindre, les comprend et les aime."
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Loi Fauchon et alpinisme sans guide

Loi Fauchon et alpinisme sans guide