Nœud d'encordement: bien choisir sans les complications 169
Le nœud d'encordement a déjà fait couler beaucoup d'encre. Influencé ces dernières années par un souci de conjurer l'aventure d'une mise en cause de la responsabilité judiciaire, il est devenu une sorte de bouffette légale, propre à justifier qu'on aurait rempli certaines diligences requises avant de pouvoir s'aventurer sur tout rocher culminant à plus de cinq mètres. On apprend alors toutes sortes de choses qui vont encombrer le cerveau de l'apprenti montagnard sans lui apporter aucun bagage technique supplémentaire.
Ainsi, au prétexte qu'on continuerait à ignorer qu'un nœud en huit est serré en forme de boule et non en forme lâche de huit à plat, on conjectura qu'il pouvait glisser sous un choc. Aussi se mit-on à préconiser de laisser dépasser largement le courant. Mais ce "largement" étant soumis à subjectivité, on conseilla la réalisation d'un nœud simple de ce courant autour du dormant, ce qui devait apporter la preuve que ce courant était de longueur suffisante. Puis comme on oublia bien vite la justification métrique de ce nœud simple, on vit sur les sites d'escalade la surenchère qu'il était plus sûr de réaliser un double nœud plutôt qu'un nœud simple autour du dormant, de sorte que la bouffette légale devint cette fois monstrueuse. Ce qui est monstrueux par les temps qui courent est surtout la constance de l'espèce humaine de verser dans les âneries les plus débilitantes dans à peu près tous les domaines, n'en finissant pas d'être tournée en bourrique par une association criminelle internationale qui entend s'immiscer judiciairement dans chacun des gestes de la vie quotidienne, activités sportives comprises. (Pour s'en convaincre, on revisitera la production fascistoïde du ministère du mois de mai 2020 intitulée "Guide d'accompagnement de reprise des activités sportives" -cf. article 116-, qui prétendait par la soft-law -ce faux droit- nous interdire les relais ou les stationnements aux sommets et aux cols.) Il est ici nécessaire de rappeler encore une fois les phrases sublimes de la première page de La Chartreuse de Parme: "Il y avait loin de ces mœurs efféminées aux émotions profondes que donna l'arrivée imprévue de l'armée française. Bientôt surgirent des mœurs nouvelles et passionnées. Un peuple tout entier s'aperçut, le 15 mai 1796, que tout ce qu'il avait respecté jusque-là était souverainement ridicule et quelquefois odieux. Le départ du dernier régiment d'Autriche marqua la chute des idées anciennes: exposer sa vie devint à la mode; on vit que pour être heureux après des siècles de sensations affadissantes, il fallait aimer la patrie d'un amour réel et chercher les actions héroïques. On était plongé dans une nuit profonde par la continuation du despotisme jaloux de Charles-Quint et de Philippe II; on renversa leurs statues, et tout à coup l'on se trouva inondé de lumière."
Les idées méritent dans ces conditions d'être un tantinet remises en place.
1/ Un nœud de huit ne glisse pas quand il est serré et ce serrage ne peut être complet que si les brins ne sont pas croisés, de sorte qu'il prend alors la forme d'une boule et non d'un huit à plat.
2/ Le nœud de huit donne des valeurs de résistance à la traction très supérieures aux exigences de l'escalade, même quand il est mal fait. Mais il peut dans ce cas glisser sous le choc et surtout se défaire tout seul dans les diverses sollicitations sans tension pendant les longues péripéties d'une grande voie ou d'une course de montagne. Bien serré, il n'a nullement besoin d'être renforcé par un quelconque nœud supplémentaire.
A gauche pour une voie d'une longueur en laissant largement dépasser le courant. A droite pour une journée de montagne... |
3/ Le nœud de huit présente cependant trois inconvénients:
Le premier est qu'il est beaucoup plus long à réaliser correctement qu'un nœud de chaise avec son nœud d'arrêt ou sa clef Yosemite (voir ces deux gifs), ce qui est handicapant dans une course de montagne variée, typiquement une course d'arête rocheuse avec nombreux passages de brèches, où l'on doit alterner fréquemment petits rappels et ré-encordements.
Le deuxième est son encombrement quand il traite deux brins à la fois, ce qui est le cas pour l'encordement en "N" sur glacier. Ici, avantage au nœud de chaise avec clef Yosemite.
Nœud de chaise avec clef Yosemite traitant deux brins à la fois, faible encombrement record |
Le troisième est que le courant sort côté dormant. Ceci est extrêmement pénalisant dans les pas durs avec mousquetonnage olé olé, d'autant plus si l'on a laissé un courant long, car on prend dans la main deux épaisseurs de corde à l'instant le plus critique. Ici avantage au nœud de chaise avec double nœud d'arrêt puisque la clef Yosemite fait également ressortir le courant côté dormant.
Le nœud de chaise avec clef Yosemite, pas le meilleur choix quand on est au taquet dans le crux... |
Au total on pourrait choisir le nœud de huit comme nœud d'encordement habituel, ce qui aurait pour avantage de s'entraîner régulièrement à le réaliser correctement en vue de ses prochaines utilisations indispensables comme... nœud de jonction pour installer un rappel (voir cet article). Pour les voies dures à vue en premier de cordée, le nœud de chaise avec double nœud d'arrêt semble le plus indiqué pour escamoter le courant. Et l'encordement sur glacier est l'indication de choix du nœud de chaise avec clef Yosemite.
On ne peut finir sans évoquer l'attristante habitude récente de la "vérification mutuelle du nœud d'encordement", chaque grimpeur étant invité à vérifier le nœud d'encordement de l'autre grimpeur avant le départ. Ceci apparaît non seulement comme une négation de la capacité de chacun d'être autonome mais aussi comme une négation pure et simple du stade adulte, puisqu'on serait sensé avoir davantage confiance à autrui qu'à soi-même. Avoir pour projet de partir à l'aventure en haute-montagne est incompatible avec cette nouvelle pusillanimité institutionnelle. Penser qu'on aurait besoin du regard d'un autre pour se faire confiance dans une réalisation aussi simple qu'un nœud d'encordement, c'est être très mal parti pour l'autonomie en milieu naturel. Etre adulte c'est n'avoir besoin de personne pour vérifier, soi-même, la bonne réalisation de son nœud d'encordement et toutes sortes d'autres choses comme la bonne fixation de ses crampons. Et si vous souhaitez une "double" vérification, qu'à cela ne tienne! Rien ne vous empêche de vérifier deux fois vous-même! Il est même conseillé de vérifier son nœud d'encordement régulièrement tout au long de la journée d'une course en montagne. Ce ne sera donc pas une fois ou deux fois mais cent fois que vous vérifierez, vous-même, votre nœud d'encordement.
Quant à la fameuse bouffette légale, elle trouvera certainement sa meilleure application pendant votre prochain stage d'escalade, où vous la confectionnerez dans toute son inutile complexité, toute honte bue, afin d'éviter d'épouvanter votre sympathique, mais judiciairement fragile, moniteur d'escalade...