Cime d'Orgières, voie normale (bonus: randonnée au Lac Lautier) 148

 


La voie normale de la Cime d'Orgières est attribuée, faute de mieux, à Alain et André Gendarme pour une ascension en août 1974. Il est probable qu'elle fut parcourue de nombreuses années auparavant car les voies de l'arête Est (AD), de la face Ouest (PD) et de la face Sud (AD), ne connaissent aucuns premiers ascensionnistes répertoriés, et la cordée A.Bézard / Marcel Vincent ouvrit l'arête Sud-Ouest (D, 600m) dès juillet 1950, avec sans doute une solution pour en revenir...
Quoi qu'il en soit, la voie est très peu parcourue, comme du reste l'ensemble de cette montagne. D'une altitude légèrement inférieure (3061m) au plus haut des Pics des Souffles (3098m pour le sommet Ouest), la Cime d'Orgières semble pourtant bien plus haute, en raison du brusque retrait vers le nord de la crête faîtière au niveau des Souffles, de sorte qu'elle apparaît comme LA montagne à gravir du coin. Quand on saura qu'elle est par surcroît survolée de près par une horde de vautours dont le territoire va au moins jusqu'à la face sud de l'Olan et la Rouye, il ne sera plus possible de résister à la tentation d'en parcourir la voie la plus facile. Vous êtes ici dans la rubrique "Oisans sauvage", même si le terme est impropre (bassin de la Romanche et Vénéon) puisqu'il s'agit de la vallée de la Séveraisse. On grimpe sur un granit d'Orgières si l'on en croit Maurice Gidon, au moins pour le couloir raide de rocher blanc qui permet d'avaler l'essentiel du dénivelé, mais la voie emprunte une première ligne de fracture herbeuse et de roches décomposées, puis se termine par un parcours d'arête dont la roche anguleuse ressemble davantage au gneiss douteux habituel au massif. Entre longs gradins compacts dépourvus de fissures et passages fragiles dont on ôte les prises volages, la gageure ici sera de réussir à s'assurer un minimum. La cordée ne devra pas être totalement débutante et il est préférable qu'elle soit homogène.
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L'idéal est de garer son fourgon la veille de la montée au bivouac (ou au refuge mais les emplacements de bivouacs ne manquent pas) au pont du Roux, juste après Saint-Maurice-en-Valgodemard (sic), pour profiter de la baignade (sous le pont ou 100m en aval). Mais il faudra décamper tôt le lendemain matin pour être sûr de trouver une place sur le minuscule parking à l'entrée de Villar-Loubière.


On bivouaque après le refuge des Souffles, à une encablure vers la gauche où se trouve le torrent de captage de l'eau de l'établissement. Il est donc inutile de s'abîmer dans des allers-et-venues incessantes pour remplir sa gourde à un vrai robinet alors que la véritable eau propre coule à vingt mètres de la tente... Ni patous, ni moutons. La montée est seulement handicapée par les nombreuses haltes gourmandes, la quantité extraordinaire de myrtilles étant bien capable d'ébranler votre méritoire poids plume de grimpeur de salle.
Depuis le bivouac, qui profite longuement du soleil couchant, on aperçoit le minuscule névé  marquant l'attaque. Une fois sur place, ce sera le deuxième en partant du col de la Sée car on laisse à droite un étroit névé étiré de bas en haut. Dès le mois d'août, les crampons sont inutiles, l'abord se faisant sous la petite langue de neige dure. Un écroulement de quelques mètres du terrain morainique complique un peu l'accès à la vire herbeuse, sans gravité. Ne pas hésiter à tailler des marches à l'aide du marteau ou du marteau-piolet si la terre est trop dure pour être imprimée par les carres des semelles.


L'itinéraire ressemble à s'y méprendre à celui de la voie normale de l'Olan: une longue vire ascendante vers la gauche, un couloir raide de rocher compact, puis un parcours d'arête. Mais on ne bénéficie pas ici d'une voie de descente rapide (le couloir de neige raide sous le sommet central pour l'Olan): il faudra parcourir tout ce qui a été grimpé à la montée à la descente. Les couloirs secondaires étant autant de pièges, il vaudra mieux avoir redressé les cairns avachis. Une cordée dut ces dernières années faire appel au téléphone du gardien du refuge pour retrouver ses pénates. Forfaiture évidemment impossible pour qui aurait lu Alpinisme sans Guide... Ce 14 août, nous avons cairné la totalité de l'itinéraire. L'ensemble est à la fois plus facile et plus sauvage que la voie normale de l'Olan (un chamois, soit-dit en passant se baladant tranquillement entre le sommet nord et le sommet central au mois de juillet de cette année).


La longue vire d'herbe et de rocher fracturé qui se remonte quasiment en marchant vient buter sur une sorte de conque de rocher blanc immanquable. C'est ici que commence le couloir raide qui débouchera sur l'arête, à proximité de l'antécime. A la descente, deux courts passages peuvent nécessiter deux ou trois petits rappels, car l'assurage y est presque impossible.




La brèche de sortie du couloir est étroite et facile. Le rocher va alors réclamer plus d'attention, avec nettoyage en prévision du retour pour éviter les bourdes de celui qui, mal assuré, va descendre le dernier.





C'est bien sûr le retour qui va donner de la valeur à la course. Car en raison du nombre insuffisant de fissures ou de becquets pour placer des protections, il va falloir assurer sa sécurité de diverses façons.
Le premier à descendre devra constamment se soucier de la sécurité du suivant et non baisser les bras devant le manque de placements en se disant que son copain expendable n'a qu'à se démerder et que nul n'est irremplaçable... 
Il existe en effet de nombreuses manières de rehausser la sécurité du dernier à descendre dans ce genre de terrain:
1/ On est parti tôt le matin pour parcourir l'approche tranquillement, afin qu'aucune fatigue excessive n'entame la lucidité.
2/ On a cairné soigneusement l'itinéraire à la montée pour être sûr de retrouver les passages les plus faciles.
3/ On privilégie la désescalade des petits dièdres à celle des gradins exposés, car une chute ne provoque généralement qu'une glissade sans conséquence quand le corps est calé entre deux parois de rocher.
4/ On nettoie toute prise branlante, même celles qu'on n'utilise pas, car le copain, lui, va peut-être le faire. Il s'agit d'éliminer tous les pièges des passages exposés où une chute serait dramatique. Passer du temps si nécessaire. Cela doit être propre.
5/ A la fin de chaque pas difficile, on place une protection fiable le plus tôt possible, même si aucune protection n'a pu être placée pour protéger le passage et qu'il y a donc chute au sol. Car au moins, la cordée entière ne partira pas dans le décor visiter le ressaut suivant. Et la chute sera unique.
6/ Dans cette dernière circonstance, on peut se vacher long à cette protection (nœud de cabestan sur le friend par exemple) et remonter se caler solidement dans le premier tiers du dièdre, afin de parer efficacement la fin du pas difficile.
7/ On s'interdit tout pas difficile qu'on ne ferait pas si l'on était le deuxième à descendre. Il va donc falloir choisir un passage plus facile ou poser un rappel. A la montée, avoir repéré les rares possibilités de becquets est un gain de temps. Afin de pouvoir faire face à toutes les situations, on a dans son sac 4 pitons (et un marteau...) pour poser deux rappels.
8/ Comme on n'a pris qu'un brin de corde de 45 ou 50 mètres, on a en fond de sac l'Escaper de Béal pour pouvoir tirer un long rappel sur le brin mis en simple.


Alors comment disait Rébuffat déjà?
"C'est à la Cime d'Orgières qu'on devient montagnard"... Ou à peu de chose près...




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Carte du massif du Pelvoux d'Henry Duhamel (domaine public)

Matériel: (non exhaustif)
Corde multilabel de 45 mètres
1 marteau ou 1 marteau-piolet pour la cordée et 4 pitons
Quelques mètres de cordelette 6mm
1 canif
1 jeu de coinceurs câblés
4 friends de taille moyenne avec leurs 4 mousquetons
4 grandes sangles et 4 mousquetons libres
3 dégaines
1 Escaper de Béal peut être confortable si l'on ne trouve pas de becquet ou de fissure pour poser un rappel intermédiaire

En début de saison seulement: crampons et un piolet par personne
Casque selon affinité (Nous n'en avons pas nous-même emporté mais il reste conseillé si vous partez à plusieurs cordées.)
Chaussons inutiles même pour de mauvais grimpeurs comme nous. (Il est très rare d'emporter des chaussons dans une course de cotation PD. Une exception: la voie normale du Pic Nord des Cavales, dont les passages en dalle du début sont pénibles en grosses. Mais la cotation est PDsup!)

Vêtements: Toute la course se fait avec assurage en mouvement. On ne se refroidit donc pas.

Le lumineux Valgaudemar méritera de nombreuses autres visites

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BONUS: Randonnée de 3 jours sur la trace de vos exploits
Incorrigible, malgré vos immenses talents d'escaladeur des cimes, vous n'avez jamais pu abandonner complètement le plaisir de simplement marcher et dormir en montagne. Vous allez enfin pouvoir ici, plutôt que serrer les prises avec inquiétude, lever la tête durablement vers le ciel pour contempler les nombreux vautours guettant malicieusement le dernier faux-pas définitif du tendre promeneur. Ce petit raid de trois jours se calera facilement entre deux entreprises plus sérieuses en guise de récupération ou pourra occuper la portion la plus paisible et équilibrée de la famille pendant que vous-même allez de façon déterminée affronter les parois les plus dangereuses de l'alpe homicide...
Départ de Villar-Loubière (1037m), dont vous connaissez maintenant l'impératif du parking exigu: arriver tôt pour avoir une place!
Premier jour: Montée au Lac Lautier (2363m) sans passer par le refuge des Souffles mais en bifurquant vers la Cabane du Lautier. Le sentier s'attarde dans la forêt ombragée et traverse les abondants champs de myrtilles, détail qui va allonger un tantinet la durée du parcours. Quand le sentier passe à proximité du Col des Clochettes, petit aller-retour pour aller voir de l'autre côté (10 minutes). Puis on arrive au Lac Lautier où la baignade entre les petites truites est de rigueur. En août, l'alimentation du lac est à sec. Il faut donc remplir ses gourdes dans le ruisseau issu du lac, le plus possible en aval afin que l'eau ait été filtrée naturellement par les premiers rochers. Très nombreuses possibilités de bivouac. Les moustiques ne sont pas trop voraces.
Deuxième jour: Montée au Col de Colombes (2423m) puis en aller et retour au sommet du Pic Turbat (3028m). Inutile de se munir d'un topo: du col de Colombes, on suit les énormes cairns jusqu'au sommet. Quelques mètres d'escalade très facile agrémentent la fin du parcours. La vue sur la mythique face nord-ouest de l'Olan est parfaite, les vautours rôdent en assurant continûment le spectacle. Puis descente et traversée de Côte Belle en direction du Pas de l'Olan (2683m) où l'on se recueille devant la plaque de Léon Zwilgelstein, ce protestant fervent qui a le premier utilisé les pitons modernes de type Fiechtl en France à la montée pour la première ascension de la Pierra Menta en 1922. Bivouac excellent non loin du pas, côté refuge de l'Olan, à gauche du sentier, en visant la petite marre stagnant dans les herbes. A l'aube, vous entendrez passer les cordées de la voie normale de l'Olan pendant que vous paressez dans la tente: chacun son  tour.
Troisième jour: Remontée au pas de l'Olan. Les derniers mètres peuvent se franchir en escaladant les rochers brisés à gauche du pas plutôt qu'en empruntant les lacets. C'est l'exercice classique des gars du cru... Puis descente dans la vallée par le sentier dévalant sous Côte Belle vers la Cabane du Clot qu'on laisse à droite. Une fois rejoint le sentier du refuge de l'Olan, pique-nique et baignade au petit pont de La Bourelle qui traverse la gorge du torrent. Puis descente sur la Chapelle-en-Valgaudemar et retour à Villar-Loubière en suivant le GR54 de fond de vallée.
Au total, trois jours ludiques et reposants, et un sommet de plus: le Pic Turbat.

René Vincent girl parmi les truites sous le regard de la comtesse de Mars (le dessinateur belge Maurice Bonvoisin)

Bivouac en aval du lac


Vue de la face nord-ouest de l'Olan depuis le sommet du Pic Turbat


Bivouac au Pas de l'Olan
Par chance cette année, pas de moutons pour saloper gravement l'herbe des chamois et des bivouacs...


Il faudra évidemment aller là-haut un jour. Trois voies sont conseillées: la voie normale, la traversée par l'arête Nord en venant de Font-Turbat, et la Demenge, très peu fréquentée, qui part en biais vers l'épaule Sud.

A La Bourelle, une nouvelle baignade s'impose


La bonne carte IGN est "Les Deux Alpes, Olan, Muzelle, Parc national des Ecrins" TOP25 n°3336ET