Quel encordement pour monter au Dôme des Ecrins par la voie normale? 80

Voie normale du Dôme des Ecrins
De gauche à droite: Barre Noire, Barre des Ecrins, Dôme des Ecrins

L'encordement actuellement recommandé pour marcher sur un glacier enneigé est l'encordement en N décrit aux pages 37, 125 et 126 de notre manuel, chaque grimpeur conservant un tiers de la corde en réserve facilement disponible sur le dessus de son sac à dos. Voir cette vidéo de l'ENSA.

Nouer le tiers de la corde au baudrier avec un nœud de chaise bloqué avec la clef Yosemite présente l'avantage d'un faible encombrement tout en étant facile à défaire. 
L'ENSA prône l'utilisation du nœud de huit sur un mousqueton à vis directionnel (ou un mousqueton à vis non directionnel et un mousqueton simple dans l'autre sens) pour des raisons de facilité (facilité notamment pour quitter la chaîne d'assurage quand le grimpeur resté hors de la crevasse aura transféré la charge de la corde sur le corps-mort, ou pour le grimpeur tombé dans la crevasse quand il commencera sa remontée sur corde fixe). 
Cette seconde façon de faire a le mérite de la simplicité mais occupe un mousqueton que nous préférons utiliser autrement, comme on va le voir. 

L'encordement en N sépare généralement les alpinistes d'une quinzaine de mètres (parfois vingt mètres si les crevasses sont larges). Cette distance importante diminue la probabilité que les deux grimpeurs percent ensemble le même pont de neige et tombent dans la même crevasse. L'inconvénient est que cette longueur de corde ne permet pas d'enrayer efficacement la glissade de son compagnon de cordée en pente raide, car celui-ci a le temps de prendre une vitesse élevée avant que la corde ne le retienne. Seul un encordement court, 3 ou 4 mètres, est alors adapté.
La question que tout le monde se pose et à laquelle personne ne répond sinon en éludant est: "Que faire en terrain crevassé qui devient raide tout en restant crevassé?" Dans ce cas visiblement techniquement compliqué mais qu'on rencontre pourtant souvent dans une voie aussi fréquentée que la voie normale du Dôme des Ecrins, quelles vont être les solutions les moins bêtes?

Comment procèdent les professionnels?
Quand la pente s'accentue, qu'ils jugent que leur client est bien capable de se casser la figure et que la raideur de la pente les oblige à réduire l'encordement pour espérer enrayer la glissade, ils prennent des anneaux dans la main aval terminés par un tour serré autour de la paume ou par une boucle servant de poignée (faire un nœud de vache sur le dernier anneau). Ils tiennent leur client à deux mètres maximum. S'ils détectent une crevasse, ils lâchent les anneaux, demandent au besoin à leur client de reculer de quelques pas pour que la corde soit à peu près tendue, et franchissent la crevasse en mode encordement en N à 15 mètres. Une fois la crevasse franchie par leur client, il reprennent les anneaux à la main et continuent l'escalade de la pente raide en encordement court.
On comprend qu'il existe trois limites à cette technique: (voir aussi chapitre 4 page 130 de notre manuel)
1/ Le leader n'est pas assuré. S'il tombe, il lâchera les anneaux, et le choc final qui sera transmis au client une fois la corde tendue projettera celui-ci dans la pente. Première conclusion: la technique est réservée pour un leader qui ne tombe pas, dans les conditions de forme (le leader a-t-il bien dormi?), de neige (bon regel?) et de raideur (la course d'aujourd'hui, pas celle de la semaine dernière) du jour même.
2/ Le leader a la main aval occupée. Pire, à chaque lacet, cette main aval devient main amont, obligeant à changer les anneaux de main sans oublier de conserver le dernier anneau vers l'extrémité des doigts et de  refaire le dernier tour serré si on n'a pas réalisé une poignée avec le dernier tour. Ceci demande une certaine aisance qu'il faudra acquérir sur une terrain peu raide et sans conséquence avant de pouvoir l'employer en terrain raide… et avec conséquences.
3/ Si le leader ne détecte pas la crevasse qui vient et tombe dedans avec les anneaux à la main, il va lâcher les anneaux et tomber profondément dans le trou. Le client étant en aval et la pente étant raide, il y a d'honorables  chances pour qu'il ne soit pas entraîné dans la crevasse malgré le choc, du moins s'il n'est pas déjà sur le pont de neige. Il est avantageux que  le leader  connaisse la configuration habituelle (mais l'emplacement exact des crevasses varie évidemment chaque année) du glacier en l'ayant parcouru régulièrement en fin de saison (crevasses visibles). Il doit également être d'une attention extrême.

Que faire en tant que non-professionnel peu expérimenté? Réponse: la même chose, mais sans anneaux à la main.
A quoi servent les anneaux à la main? Réponse: uniquement à fluidifier la progression de la cordée. Car s'il s'agit simplement de réduire l'encordement puis de le rallonger, vous pouvez faire cela sans anneaux à la main en prenant des anneaux de buste que vous allez arrêter par un nœud de huit monté très rapidement sur un mousqueton à vis directionnel installé sur le baudrier. Voici donc  l'utilisation promise du fameux mousqueton.
De cette façon vos deux mains sont libres. Une main pour le piolet, la seconde main pour le bâton télescopique ou posée à plat sur la neige pour vous équilibrer si vous grimpez de face un passage raide. Si votre second trébuche, la tension se transmet à votre pontet sans choc car l'encordement très court (3 ou 4 mètres maximum) est facile à garder tendu. Si vous-même chutez, votre second a une chance d'enrayer votre glissade car aucun anneau à la main ne vous échappe. Si vous tombez dans une crevasse, vous tombez moins profondément. [Par contre, votre second est très proche du bord de la crevasse et a moins de temps pour réagir; nous adoptons alors parfois un compromis non conventionnel en nous encordant à 6 mètres, en sachant que chaque mètre supplémentaire diminue l'inclinaison maximale de la pente dans laquelle nous pouvons enrayer la glissade de notre compagnon de cordée. Mais 6 mètres, c'est trop si la pente est forte pour la cordée, cette raideur étant mesurée en rapport avec les capacités réelles de la cordée (habitude à enrayer la glissade du compagnon, habitude à enrayer sa propre glissade par la technique de réchappe, aisance du cramponnage). Ceci signifie que dans telle pente, telle cordée expérimentée sera capable de s'arrêter avec un encordement à 6 mètres, et que telle autre moins expérimentée ne pourra allonger à 6 mètres que dans des pentes moins fortes. N'imitez donc pas systématiquement ce que font les cordées des vieux de la vieille. Le vrai encordement court sans anneaux à la main, c'est 3 à 4 mètres.]
Le véritable prix à payer de cette technique est le caractère heurté - et donc ralenti - de la progression: A chaque suspicion de crevasse, il faut défaire le nœud de huit du mousqueton à vis et lâcher les anneaux de buste. Une fois le risque de glissade redevenu prépondérant, il faut reprendre les anneaux de buste et refaire le nœud de huit sur le mousqueton à vis directionnel. A chaque endroit, il vous appartient d'estimer lequel des deux risques est le plus grand, en tenant compte des capacités de votre propre cordée.

Conclusion: On ne conserve pas la même longueur d'encordement pendant toute la durée de la course mais on l'adapte aux différents passages de telle façon que la corde pallie au risque le plus élevé, autant de fois qu'il le faut.

Le prusik pré-installé sur la corde

De nombreux tutoriels recommandent de nouer un autobloquant (prusik ou machard) sur la corde. Si plusieurs auteurs ont tenté de justifier cet autobloquant pré-installé de différentes manières (poignée pour amortir la corde à la main - Gardent, p.93 -, création d'un léger mou sur le nœud d'encordement pour pouvoir tirer sur celle-ci à la main -Paci, p.139 -, amorçage plus facile d'une remontée avec création de ce mou, etc.), ils ont omis son origine historique. Disons tout de suite qu'il n'est plus recommandé - s'il l'a jamais été - de faire supporter le choc à cet autobloquant (voir p.40 du dernier manuel de l'ENSA) et que son montage est facultatif. Il n'a d'intérêt que pour "s'avancer" dans la besogne d'une manœuvre de récupération en cas de chute en crevasse. Mais on peut très bien le placer après la survenue de l'incident. Alors, pourquoi insiste-t-on autant sur cet autobloquant?
La raison est historique. Elle est expliquée en détail plusieurs fois dans le manuel (à lire) Alpinisme moderne, éditions Arthaud, 1974, ouvrage collectif italien écrit par quinze auteurs différents, et adapté à la France sous la direction de Félix Germain. A cette époque, l'encordement direct avec la corde, sans usage du baudrier, était encore courant. Après avoir réalisé son encordement avec la corde (une boucle serrée au niveau des côtes non flottantes, deux boucles faisant bretelles), on installait une cordelette de 4,5 mètres en anneau de Prusik (voir page 163 de l'ouvrage dans le chapitre rédigé par Kurt Diemberger) noué autour de la corde et on fourrait cette cordelette prête à l'emploi dans sa poche! Ainsi, quand on tombait dans une crevasse, avec la corde qui enserrait les côtes à empêcher de respirer, on sortait l'anneau de sa poche, on remontait un peu le prusik le long de la corde et on se mettait debout sur la pédale. L'urgence qu'il y avait à faire cesser la douleur de la corde justifiait le pré-montage du prusik. Aujourd'hui, les confortables cuissards rendent non indispensable cette précaution et on a tout le temps de nouer son autobloquant une fois tombé dans le trou. On peut donc le porter vrillé et compact (pour ne pas l'accrocher avec un crampon) à l'un des porte-matériels du baudrier.