Des piolets et des lames: combien de normes? 50

Les catalogues nous proposent différents types de piolets. Les piolets de catégorie B ou de catégorie T. On nous parle ici de résistance de manche. Alors, on nous embrouille un peu avec les lames des piolets techniques, lesquelles pourraient être également de catégorie B ou T selon leur épaisseur et donc leur résistance à la flexion. Puis, on complique davantage la situation  en nous disant que ces distinctions sont obsolètes et que les piolets se répartissent dorénavant en deux catégories: le type 1 et le type 2. Tout ceci faisant référence à des normes qui s'imposeraient à la fabrication de ces piolets, en mélangeant allégrement norme européenne EN 13089, norme UIAA 152 et marquage CE. Au total, on n'y comprend plus grand chose et c'est tout à fait normal, comme on va le voir.

Le label CE des EPI

En Europe, pour commercialiser un piolet, il est impératif que celui-ci porte le label CE qui signifie "conforme aux exigences essentielles". Il existe plusieurs façons d'obtenir le droit d'apposer ce label CE selon les produits manufacturés, la plus simple étant l'auto-certification. Un piolet fait partie des Equipement de Protection Individuelle (EPI) de catégorie 3, c'est à dire ceux dont l'utilisation peut exposer à un risque mortel. (Les crampons font partie des EPI de catégorie 2 dont l'utilisation peut exposer à des risques graves.) La procédure pour être certifié CE est plus lourde pour un EPI de catégorie 3 qu'une simple auto-certification. Elle nécessite pour le fabricant de faire appel à un organisme indépendant. Sur la photographie suivante, on voit près du trou le marquage CE suivi du numéro 0123. Ce numéro indique cet organisme de contrôle, en l'espèce le Technischer Überwachungs-Verein (TÜV) qui se trouve en Allemagne.

Normes des piolets et des lames de piolet


La norme européenne


Ce label CE est la seule obligation existante. La norme européenne unifiée, dont la dernière mouture a été pondue en juin 2015, la EN 13089+A1, est une norme volontaire. Son application n'a jamais été rendue obligatoire et ceci est important, car c'est ce qui va expliquer pourquoi il est normal de ne jamais lire explicitement la totalité des caractéristiques de nos piolets qui renvoient à cette norme.
En effet, une norme volontaire est, comme on se serait douté, facultative, tant qu'une loi ne l'a pas rendue d'application obligatoire, ce qui n'arrive qu'à environ 1% de ces normes volontaires. Il s'agit de normes établies par un consensus entre plusieurs fabricants du secteur ainsi que par certains usagers, en vue de proposer une norme commerciale prouvant la qualité du produit. C'est une démarche volontariste à caractère marketing. Le message est: "Parce que nous nous soucions de votre sécurité, nous autres, fabricants de piolets, avons pondu une norme avec le concours d'alpinistes chevronnés à laquelle nous nous soumettons volontairement." Et les ennuis commencent… Car cette norme, volontaire, donc d'initiative privée, donc de propriété privée, n'est pas rendue publique, au contraire des normes d'application obligatoire qui, elles, deviennent consultables gratuitement sur le site de Légifrance ou le site de l'AFNOR. Pour lire intégralement une norme volontaire, il faut payer plusieurs dizaines d'euros (sur le site de l'AFNOR), ce paiement ne donnant pas le droit de la divulguer publiquement. Ceci vous explique que vous n'avez pu qu'en lire des extraits bien confus, mélangeant les anciennes moutures avec la dernière de 2015. Les catalogues n'ont tout simplement pas le droit de  vous fournir le texte intégral.

Certes, cette norme unifiée n'est pas obligatoire. Mais comment font les organismes de certification comme le TÜV pour vérifier la qualité des produits? Deux solutions:
- Si le fabricant décide d'appliquer la norme harmonisée volontaire EN, il bénéficie d'une présomption de conformité aux exigences essentielles.
- Si, en revanche, il décide de ne pas suivre une norme harmonisée, il a l'obligation de prouver que ses produits sont conformes aux exigences essentielles, en ayant recours à un autre moyen de son choix (par exemple à l'aide de spécifications techniques existantes).
On voit qu'en pratique, le fabricant est presque obligé de se conformer à une norme que son client ne pourra lire qu'en déboursant une somme supplémentaire...  Ubu quand tu nous tiens...

Ce qu'on sait sur la norme EN 13089

La norme EN 13089+A1 répartit les piolets en deux catégories. Le type 2, comprenant les piolets indiqués pour le rocher, la neige et la glace, qui sont marqués T. Le type 1, comprenant les piolets indiqués pour la neige et la glace, qui ne sont pas marqués. La différence tient essentiellement à la solidité de la liaison tête/manche. 
Toutes les catégories de piolets possèdent un manche suffisamment résistant pour servir de corps-mort avec une sangle placée au milieu du manche. Dans le cas des piolets de l'ancienne catégorie B, il a été montré que la déformation du manche provoque la formation d'un bourrelet de glace en aval du corps mort, ce qui lui permet de résister à des forces au moins équivalentes aux piolets de manche T. Cette utilisation en corps-mort n'est donc plus un critère de choix.
Pour les piolets techniques, les lames de type 2 (anciennement T) sont plus épaisses que les lames de type 1 (anciennement B comme sur la photographie ci-dessus). L'indication intuitive des lames de type 2 serait le rocher car leur résistance à la flexion est plus grande. Malheureusement, il est plus difficile de faire tenir une lame épaisse verrouillée en torsion dans une fissure de rocher qu'une lame mince qui possède un meilleur effet ressort. Les virtuoses du dry-tooling utilisent donc des lames fines pour coincer avec moins d'effort. Mais ils savent qu'ils peuvent casser la lame plus facilement. Les lames de type 1 fracturent aussi moins facilement la glace et sont indiquées en cascade de glace. 
Les lames de type 2 (anciennement T) trouvent leur meilleure indication pour de longues courses glaciaires engagées en haute-montagne, où casser sa lame ne serait pas une plaisanterie.

La norme UIAA152

Celle-ci, bien que volontaire, peut être lue gratuitement. Le texte de référence est en langue anglaise. Cliquer sur l'image pour le lire en pdf.
Il s'agit de quelques caractéristiques qui s'ajoutent à la norme EN quand le fabricant décide de s'y plier. En général, le logo UIAA apparaît sur la notice, mais pas sur le produit.
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Et l'usure?

Sur la première photographie, la lame usée plus que de raison a été remplacée par une neuve. Il s'agit du piolet The machine de la première génération (Grivel). La lame est réputée conçue pour s'ancrer à très peu de profondeur. On voit que la réduction extrême de la première dent ne permet plus cet ancrage en surface.

De plus, l'angle montré par les lignes sur la photographie suivante est devenu beaucoup trop ouvert. De sorte que le moindre mouvement du manche du piolet vers le haut provoque un levier contre la glace de la partie haute de l'arête, et un décrochage de la pointe.


Une lame aussi usée ne permet donc plus un ancrage sécurisant en surface. Il va falloir labourer péniblement la glace qu'on trouvera étrangement à chaque sortie très mauvaise… C'est une aubaine si l'ambition est d'augmenter la circonférence de son bras, beaucoup moins si on envisage de laisser un peu de glace au suivant.

Pour achever le tableau, la machine de première génération à la fâcheuse réputation de désancrer très difficilement dès qu'elle est plantée dans un creux. La faute surtout au trou de la lame qui forme un nez proéminent (flèche de la photographie suivante).

Quand la lame est plantée profondément, ce nez est en contact ou très proche de la glace et empêche le mouvement de désancrage. Il faut alors frapper violemment plusieurs fois vers le haut avec la paume sur la tête (côté marteau) pour espérer sortir le piolet.

Bref, dans cet état, quand vous avez enfin épuisé la totalité de votre collection connue de jurons colorés, lesquels ont bien animé le vallon à votre dernière sortie, vous changez de lame...