Légitimité morale: l'éclairage de la Civil War sur la Covid War (Bonus: dette de la France par mandat présidentiel) 191
La nation américaine repose sur trois événements fondateurs :
1/ La guerre d'indépendance (1775-1781) contre l'Angleterre, déclenchée par la pression fiscale de la métropole, conduite par George Washington (général qui deviendra premier président des Etats-Unis en 1789 puis en 1792), victorieuse grâce l'intervention française décisive de Rochambeau qui renversa l'équilibre des forces en présence. La déclaration d'indépendance des treize colonies, rédigée par Thomas Jefferson et adoptée en début de guerre par le Congrès continental le 4 juillet 1776, est aujourd'hui le jour de la fête nationale (fêté comme tel dès 1781 par le Massachussetts).
2/ La victoire d'Andrew Jackson aux élections présidentielles de novembre 1828, « qui consacre », selon la formule de Jacques Néré, « de façon éclatante le triomphe politique de l'Ouest ».
3/ Le traumatisme de la guerre de Sécession, purgeant dans la douleur (650000 morts, soit vingt fois plus que la totalité des guerres indiennes) le différend économique entre les Etats du nord-est, industriels, et ceux du sud, agraires.
La guerre de sécession, communément présentée aujourd'hui aux écoliers comme une guerre morale contre l'esclavage, était en réalité l'aboutissement d'une longue rivalité entre agriculteurs et financiers, commencée dès la fin du XVIIIe siècle avec les vues politiques des partisans de Jefferson (dits « républicains »), proposant une société égalitaire de propriétaires ruraux indépendants, la limitation du rôle de l'Etat au strict nécessaire afin de garantir la liberté des citoyens, et une interprétation stricte de la Constitution de 1787, opposées à celles centralisatrices prêtées à tort et à raison aux partisans (dits « fédéralistes ») d'Alexander Hamilton, secrétaire au Trésor de Washington, qui avait consolidé la monnaie par diverses mesures étatiques volontaristes : Lutte contre les monnaies locales pourvoyeuses d'inflation galopante (penser à la tentative récente de Juving-Brunet avec son « franc libre ») par la création d'une Banque nationale contrôlant l'émission des billets, droits de douane pour financer l'Etat, vente des terres de l'Ouest, reprise par l'Etat fédéral des obligations des différents Etats, mesures similaires à celles qu'au même moment les révolutionnaires cherchaient à appliquer en France si laborieusement avec la création de la Banque de France, la vente des biens nationaux, le livre de la dette publique.
L'émergence d'un système de deux partis contribua paradoxalement, par son installation au sein de chaque Etat et par les fréquentes passerelles politiques locales opportunistes, à renforcer l'Union, ni l'un ni l'autre n'envisageant sérieusement de contester la Constitution. Grâce à l'efficacité de la politique financière d'Hamilton, les fédéralistes conservèrent le pouvoir pendant trois présidences (deux mandats de Washington, un mandat de John Adams) puis perdirent leur audience et se divisèrent sur la question de leur positionnement opposé à la Révolution française, frôlant une guerre contre la France en 1798-1799, Adams étant même présenté par ses détracteurs comme un monarchiste dissimulé. Jefferson est élu 3e président des Etats-Unis en 1801.
On assista alors avec la longue reconduite au pouvoir des jeffersoniens (deux mandats de Jefferson, deux mandats de Madison, deux mandats de Monroe, un mandat d'Adams junior) à la disparition progressive de toute opposition, phénomène qui fut appelé « l'ère des bons sentiments ». C'est que les nécessités de la réalpolitique s'imposaient, mettant à mal l'idéologie première d'un Etat central minimal. Le système financier mis en place par Hamilton fut inchangé, banque nationale et droits de douane compris. On prit des libertés avec la lecture stricte de la Constitution en achetant la Louisiane à Napoléon (1803). On accentua le pouvoir central en lançant une seconde guerre contre l'Angleterre en 1812-1814 conduisant à renforcer l'armée et la marine. On récidiva avec l'achat de la Floride à l'Espagne en 1819. En définitive, la « faim de terres » amenait les défenseurs agraires d'un Etat minimal à pratiquer une politique volontariste similaire à celle qu'ils avaient dénoncée. Mieux, la menace de la Sainte-Alliance, ce « rien sonore » voulu par Alexandre 1er après les cent-jours de Napoléon, transformé en instrument de rétablissement monarchique par Metternich, qui venait de confier à la France de Louis XVIII, en guise de preuve de loyauté, la mission de rétablir les Bourbons en Espagne, fit craindre que l'aventure ne se poursuivît dans les anciennes colonies espagnoles d'Amérique qui venaient de conquérir leur indépendance. C'est ce qui provoqua le célèbre message présidentiel annuel de décembre 1823 connu sous le nom de « doctrine de Monroe », déclarant la colonisation des deux Amériques terminée, interdisant aux puissances européennes toute ingérence sur le sol américain, Amérique latine comprise, et promettant en retour de ne pas intervenir dans les affaires européennes (promesse tenue jusque 1917).
L'apparente accalmie politique intérieure masquait cependant la profonde métamorphose du pays. De 1790 à 1820, la population avait doublé (de 4 millions à 9,6 millions d'habitants). Pendant cette période, des neuf nouveaux Etats formés (Vermont, Kentucky, Tennessee, Ohio, Louisiane, Indiana, Mississipi, Illinois, Alabama en 1819), seul le premier (créé en 1791) était à l'est. L'achat de la Louisiane avait offert, par le réseau fluvial du Mississipi, un nouveau débouché vers le sud pour les produits des pionniers de la « frontière » qui ne dépendent plus aussi étroitement du Nord-Est. Il en résulta un nouvel équilibre, en 1819, notamment au Sénat, entre les onze Etats du Sud agraires (et autorisant l'esclavage), et les onze Etats du Nord, dont l'économie repose sur la pêche, le commerce maritime et l'industrie naissante (et prohibant l'esclavage dans la lancée des quakers), la Constitution ayant toujours, dans le souci de favoriser l'Union, laissé cette décision aux Etats. Depuis la fin des guerres napoléoniennes, la demande européenne en coton avait explosé, poussant le Sud à réformer son ancienne culture de tabac pour fournir essentiellement les manufactures textiles britanniques. Cette production de coton ne va cesser de s'accroître jusqu'à atteindre les deux-tiers des exportations américaines en valeur en 1860. La récolte nécessitant une nombreuse main d'œuvre, personne n'envisage de pouvoir se passer de la gratuité qu'offre une population servile.
En 1820 se pose alors la question de l'admission du Missouri, territoire qui avait appartenu à l'ancienne Louisiane française. Des représentants du Nord, inquiets de la nouvelle prépondérance du Sud aux intérêts économiques divergents, et donc susceptible d'appuyer une fiscalité handicapant le Nord, proposent alors l'interdiction de l'esclavage dans les nouveaux Etats créés. C'est qu'à la suite de la protestation de la Caroline du Sud concernant le tarif de 1816, plusieurs Etats, partisans du libre-échange, Géorgie, Virginie, Caroline du Nord, Alabama, Mississipi, s'étaient joints à elle. Le Missouri, dont le modèle économique était agraire et qui comptait 2000 esclaves, ne reposait cependant pas sur la culture du coton car son sol était impropre. L'enjeu pour le Sud n'était donc pas celui du Missouri lui-même mais du précédent créé si on laissait l'Etat central décider une interdiction qui pouvait causer la ruine de son modèle économique. La solution fut trouvée par le sénateur du Kentucky Henry Clay qui proposa qu'on crée un nouvel Etat au Nord à partir de celui du Massachussetts (ce fut l'Etat du Maine) afin de conserver l'équilibre et qu'on définisse pour l'avenir une latitude (36°30') au-delà de laquelle l'esclavage serait prohibé dans les nouveaux Etats. On appela la résolution de ce premier conflit le « compromis du Missouri ».
Aux élections de 1828, Andrew Jackson, incarnant par son existence aventureuse l'esprit d'indépendance de l'Ouest, est élu 7e président des Etats-Unis à la tête de son nouveau parti « démocrate », héritier des premiers « républicains ». S'il s'empresse de faire disparaître la banque nationale conformément à ses aspirations décentralisatrices, il doit composer sur la question des tarifs, ses partisans étant ici divisés. En 1928, il aggrave même considérablement le tarif de 1816 (le tarif de 1828 sera surnommé le « tarif des abominations » : 38% de taxe pour les produits manufacturés, 45% pour les matières premières), dans le but de protéger les nouvelles manufactures du Nord-Est de la concurrence d'une Europe en pleine révolution industrielle, ce qui nuit directement au Sud pour le coût de ses fournitures en outils agricoles. C'était donc une façon détournée de faire supporter par le Sud le poids du financement de l'Union, puisqu'il évitait de créer un impôt sur le revenu ponctionnant les bénéfices de l'industrie du Nord. (Il ne sera créé qu'en 1862 en tant qu'impôt de guerre et ne sera inscrit dans la Constitution qu'en 1913.)
Ce fut de nouveau la Caroline du Sud qui prit les devants de la contestation en 1832 en exhumant de la Constitution le droit de nullification jamais utilisé. Après convocation d'une convention, l'assemblée de Caroline publia le 24 novembre une ordonnance frappant de nullité le tarif de 1828, prévoyant prudemment une application pour février 1833. Dans le même temps, on armait les milices en prévision d'une réplique de l'Union. Celle-ci ne tarda pas, Jackson envoyant deux navires de guerre devant Charleston, puis proposant un accommodement du tarif, tout en faisant voter des pouvoirs exceptionnels au président des Etats-Unis lui permettant de recourir à la force contre une menace intérieure. La Caroline du Sud publia aussitôt une nouvelle ordonnance frappant de nullité ces nouveaux pouvoirs exceptionnels. Il fallut encore une fois faire appel au sénateur Henry Clay, rival malheureux à la présidence, pour dénouer la situation. La Caroline du Sud renonçait à son droit de nullification contre un tarif ramené progressivement en dix ans (!) à celui de 1816 (20% en moyenne du prix des produits importés). Mais il s'agissait d'une duperie car le tarif une fois réduit ne tint que deux mois en 1842 avant d'être doublé (40% en moyenne) tout en s'appliquant à 85% des marchandises importées. Pour certains produits comme ceux contenant du fer, la taxe de ce nouveau tarif de 1842, rapidement surnommé « tarif noir », représentait les deux-tiers du prix final.
Cependant, l'expansion de l'Union se poursuivait, autant au nord (Michigan 1837, Iowa 1846, Wisconsin 1848, Oregon 1859 promis dès 1848 par Polk) qu'au sud (Arkansas 1836, Texas 1845 accompagnés des territoires d'Arizona et du Nouveau-Mexique qui ne deviendront Etats que beaucoup plus tard, Floride 1845). Dans le même temps, la production de coton continuait sa croissance extraordinaire (2 millions de livres en 1789, 320 millions en 1830, 1000 millions en 1850, 2300 millions en 1860), s'étendant sur les nouvelles surfaces du Sud. La population augmentait rapidement, surtout au Nord (presque 10 millions d'habitants en 1840 contre un peu plus de 6 pour le Sud). L'enjeu économique du Nord-Est, qui n'avait aucune chance d'exporter ses produits manufacturés vers la riche Europe industrielle, devint le développement du chemin de fer transcontinental, ce qui supposait souvent de chasser les tribus indiennes, plus anciens et sans doute plus légitimes occupants du sol selon la vieille formule de Cooper, et n'allait pas sans une exploitation des travailleurs chinois, tandis que l'enjeu du Sud était de limiter le plus possible la politique protectionniste de l'Union.
La vieille rivalité fiscale des deux économies si différentes fut alors détournée plus franchement sur la question de l'esclavage, prêche initié dès 1830 (fondation du journal The Liberator par William Lloyd Garrison), levier moral bien compris par le Nord pour imposer sa politique protectionniste au Sud. Même les églises se mirent à se diviser en une branche Nord et une branche Sud. En 1850, l'admission au sein de l'Union de la Californie enfreignit une première fois la règle du 36°30' parallèle en prohibant l'esclavage. En 1852, Harriet Beecher-Stowe parvint à émouvoir le monde entier avec son Uncle Tom's Cabin, traduit en 32 langues (sa traduction française de 1879 par Louis Enault téléchargeable gratuitement sur Gallica - poids: 141Mo). « La jeune femme qui gagna la guerre » selon la formule de Lincoln, avant même qu'elle ne commençât, inspira l'organisation de réseaux d'évasions (on estime à environ un millier le nombre d'évasions chaque année). L'Ouest des pionniers, jusqu'ici solidaire des préoccupations agraires du Sud, s'en désolidarise totalement, car attaché surtout à l'indépendance, la liberté, l'individualisme égalitaire, préoccupations très éloignées de celles des grandes exploitations très hiérarchisées du Sud. C'est aussi la période de la grande ruée vers l'Ouest suite à la découverte en 1848 de l'or en Californie. L'Ouest, tout à coup peuplé, va faire pencher la balance en faveur du Nord.
En 1854, à l'occasion de la création des territoires du Kansas et du Nebraska, est votée une loi abrogeant le compromis du Missouri de 1820. Prévue pour apaiser les relations entre le Nord et le Sud en permettant aux pionniers de décider par un vote de prohiber ou non l'esclavage, au nom de la souveraineté populaire, elle va provoquer en retour la formation d'un nouveau « Parti républicain » (qui est toujours le parti républicain actuel) dont l'objectif sera de stopper l'expansion de l'esclavage sans l'abolir, de telle façon que cette institution archaïque, confinée, finisse par disparaître d'elle-même, toute la teneur du discours de Lincoln de 1858 sur la « maison divisée ».
En 1857, une décision de la Cour suprême permettant de maintenir une condition d'esclave dans un pays libre (ici l'Illinois) effraye de nouveau le Nord-Ouest, propulsant à la présidence aux élections de novembre 1860 le républicain modéré Abraham Lincoln.
Sans attendre l'investiture de mars 1861, la Caroline du Sud prononce sa sécession de l'Union le 20 décembre 1860 pour protéger son modèle économique des intentions connues de Lincoln, suivie par le Mississipi le 9 janvier, la Floride et l'Alabama les 10 et 11 janvier, la Géorgie et la Louisiane les 19 et 26 janvier, et le Texas le 1er février 1861.
Ces sept Etats se constituent le 4 février 1861 en Etats confédérés d'Amérique (Confederate States of America) et choisissent pour président provisoire l'ancien secrétaire fédéral à la guerre Jefferson Davis, planteur du Mississipi.
Le 3 mars 1861, le Congrès vote dans un souci d'apaisement un ajout à la Constitution prévoyant qu'aucun amendement ne peut être fait à la Constitution pour donner au Congrès le droit de prohiber l'esclavage dans un Etat quelconque. Mais ceci ne suffit pas.
Les opérations militaires commencent en Caroline du Sud le 12 avril 1861 par le bombardement de Fort Sumter situé à l'entrée de la baie de Charleston, dans le but de déloger la garnison fédérale de 80 hommes dont la présence est jugée illégitime. Ne provoquant aucun mort, sinon accidentel, ce coup de force pousse Lincoln à mobiliser une armée dans chaque Etat, les effectifs de l'armée de l'Union régulière ne comptant à ce moment que 16000 hommes, mobilisation qui entraîne la sécession de quatre Etats supplémentaires: la Virginie le 17 avril, l'Arkansas et le Tennessee les 6 et 7 mai, la Caroline du Nord le 20 mai. A l'automne, Missouri et Kentucky se scindent en deux gouvernements, sudiste et nordiste.
Au recensement de 1860, la population totale des Etats-Unis, qui a doublé en vingt ans, compte environ 31,44 millions d'habitants. Les Etats ayant fait sécession comptent 9,1 millions d'habitants dont 3,5 millions d'esclaves, deux Etats, la Caroline du Sud et le Mississipi comptant davantage d'esclaves que d'hommes libres. Parmi les Etats restés fidèles à l'Union, on compte encore 429000 esclaves, surtout présents dans les Etats du Kentucky, du Missouri et du Maryland, dont les deux premiers se sont divisés. La disproportion des forces était flagrante et la stratégie du Sud consistait seulement à décourager suffisamment l'ennemi pour qu'il accepte la sécession.
La guerre dura quatre ans en raison essentiellement de la nécessité de tout improviser, car rien n'est jamais prêt pour une guerre civile. Le Nord ne pouvait perdre la guerre mais l'enjeu, comme dans toute guerre civile, était le maintien ou non de l'unité. On utilisa pour cela tous les leviers dont le levier moral qui avait servi depuis 1830 à affaiblir les prétentions fiscales du Sud. C'est ainsi que d'une guerre de tarifs longuement menée par le Nord contre le Sud, on fit une guerre morale de lutte contre l'esclavage. On croyait mourir pour libérer les esclaves, on mourrait, selon la formule d'Anatole France, pour les industriels. Le Sud, reposant sur la culture du coton, n'était pourtant pas exclusivement peuplé d'esclavagistes. Seuls 4,8% de la population du Sud étaient propriétaires officiels d'esclaves, ce qui, en tenant compte des effectifs familiaux de ces propriétaires revient à environ 25% des foyers du Sud. Le général Lee lui-même, conquis par les idées libérales, avait affranchi ses esclaves de Virginie avant la guerre. Au Nord, on ne se battait aucunement pour abolir l'esclavage mais pour asseoir un régime fiscal protectionniste et préserver l'Union.
On débuta la législation de guerre sur l'esclavage par l'exploitation du décret présidentiel du 19 avril 1861 qui ordonnait un blocus de la Confédération, de sorte que tout bien entrant ou sortant était considéré comme contrebande pouvant être saisie. Le très controversé général Butler s'était autorisé à comprendre ce blocus comme l'autorisation de confisquer les esclaves puisqu'ils étaient des biens, ce qui dérogeait à la Fugitiv Slave Law de 1850 obligeant tout agent à remettre un fugitif à son propriétaire. Le 6 août, le Congrès vota le Confiscation Act, qui autorisait les militaires à confisquer tout bien utile à l'effort de guerre du Sud, esclaves compris, légalisant ainsi la conduite de Butler. Il ne s'agissait pas d'affranchissement, encore moins de citoyenneté puisque mêmes les 344000 Noirs libres vivant dans les Etats de l'Union n'étaient pas considérés comme citoyens américains. On employa les fugitifs confisqués dans diverses tâches secondaires des armées, tout en refusant de les enrôler en tant que soldats. Ces « contrebandes », comme on les appelait, devenaient parfois les serviteurs des soldats de l'Union guère mieux traités que dans les exploitations qu'ils avaient pris le risque de fuir. Souvent les officiers du Nord refusaient d'appliquer le Confiscation Act et renvoyaient les fugitifs à leurs propriétaires sudistes dans le respect de l'ancienne jurisprudence « Dred Scott » de 1857, sans que Lincoln, qui connaissait ces pratiques, ne s'en émeuve outre mesure. C'est que le président de l'Union avait à cœur de se concilier les quatre Etats « non libres » restés fidèles à l'Union et qui comptaient près de 430000 esclaves au recensement de 1860 (Missouri 114931, Kentucky 225483, Maryland 87189, Delaware 1798). Quand le 30 août 1861, John Frémont, premier candidat républicain malheureux à la présidentielle de 1856, qui avait échoué pour son intransigeance sur la question de l'esclavage, émancipa de sa propre initiative les esclaves du Missouri (Lincoln l'avait nommé général politique des armées de l'Ouest en mai), Lincoln s'empressa de le stopper et finit, devant son refus, par le limoger en novembre.
A la fin de l'année 1861, confronté aux succès militaires du brillant généralissime sudiste Robert Lee et à l'influence grandissante des républicains radicaux, Lincoln se laissa gagner peu à peu à l'idée qu'il fallait mener une guerre totale contre le Sud, et s'attaquer directement à l'institution de l'esclavage pour saper ses bases économiques. Mais il n'y alla qu'en freinant des quatre fers.
Le 6 mars 1862, il prononça d'abord une allocution promettant une émancipation graduelle des esclaves, accompagnée de subventions incitatives, avec pour objectif final une disparition de l'esclavage pour l'année 1900. Il s'agissait d'offrir une porte de sortie honorable pour le Sud, lui permettant de réorganiser ses exploitations, et ce discours reflétait sa vision personnelle du problème qu'il avait exposée en 1858 dans « la maison divisée ».
Le 13 mars, le gouvernement fait voter par le Congrès le Act Prohibiting the Return of Slaves, qui interdit formellement aux officiers de renvoyer les fugitifs vers leurs propriétaires sudistes, sans pour autant les affranchir, en faire des soldats de l'Union, encore moins des citoyens américains. Cette loi ne visait que les fugitifs du Sud et ne s'appliquait pas aux fugitifs des Etats restés fidèles à l'Union.
Le 10 avril 1862, le Congrès adopte la position du discours du 6 mars, qui est aussitôt appliquée en Virginie occidentale, au Missouri et dans le district de Colombie.
Le 9 mai 1862, le général David Hunter publie un ordre général affranchissant tous les esclaves de Floride, de Géorgie et de Caroline du Sud. Lincoln annule cet ordre dès qu'il en a connaissance. Jefferson Davis, président de la Confédération donne l'ordre de considérer Hunter comme un « criminel à exécuter s'il était capturé ». Hunter tente d'enrôler les fugitifs pour former un régiment noir mais se heurte au Congrès qui l'en empêche.
Les défaites militaires de mi-1862, le Sud menaçant même l'intégrité du territoire de l'Union, accroissent encore l'influence des républicains radicaux. Ils réussissent le 19 juin 1862 à faire adopter une loi abolissant l'esclavage dans les territoires (et non les Etats) de l'Union, soit quelques centaines d'esclaves seulement.
Le 17 juillet 1862, le Second Confiscation Act, plus efficace, prévoit des poursuites judiciaires contre les citoyens du Sud combattant le Nord, avec peine de prison ou de mort pour trahison ou rébellion, et saisie de leurs biens mobiliers et immobiliers. Il est alors prévu, nouveauté de la loi, que leurs esclaves passés sous le contrôle de l'Union soient affranchis, tout en restant considérés comme « prisonniers de guerre ».
Le même jour est adopté le Militia Act autorisant l'enrôlement des Noirs dans l'armée, ce qui ne fut massivement pratiqué qu'à partir de 1863, permettant alors de pallier l'inefficacité de la conscription à laquelle on pouvait facilement échapper contre 300 dollars.
Au Sud en revanche, la conscription était sévère et incontournable car on manquait d'effectifs. L'absence des hommes dans les exploitations était compensée par les 3,5 millions d'esclaves devenus indispensables à l'économie de guerre du Sud, laquelle continuait à reposer sur les exportations de coton vers l'Angleterre et la France. Il fallait simplement forcer le blocus, très incomplet, établi par l'Union, et gagner les Bahamas pour être sous la protection de sa Majesté dont le Premier ministre Palmerston ne cachait pas ses sympathies sudistes. Le « grand perturbateur », Napoléon III, dans le même temps montrait des ambitions au Mexique, ayant tout à gagner à la partition de l'Union. On redoutait donc au Nord une reconnaissance officielle de la Confédération par l'Angleterre et la France et leur entraînement dans la guerre. Les opinions de ses deux pays étant au contraire peu enclines à soutenir des Etats pratiquant l'esclavage, Lincoln compris qu'il fallait définitivement présenter sa guerre pour préserver l'Union en guerre morale pour l'abolition afin de paralyser les gouvernements anglais et français par leurs propres opinions publiques.
C'est ce qui conduisit Lincoln à promulguer le 22 septembre 1862, à la faveur de nouveaux succès militaires en demi-teinte, son célèbre executive order conçu comme une mesure de guerre. Il est prévu d'affranchir tout esclave d'un Etat n'ayant pas renoncé à sa sécession avant cent jours (effet pour le 1er janvier 1863). Il ne s'agissait pas d'abolir l'esclavage (chose que ne permettait du reste pas la Constitution) puisque la mesure ne concernait pas les Etats esclavagistes restés fidèles à l'Union, mais d'handicaper le Sud en prononçant l'affranchissement automatique de tout esclave du Sud rencontré. Encore avait-on soigneusement contourné plusieurs comtés et même l'Etat entier du Tennessee dont le nouveau gouverneur démocrate niait la sécession. Lincoln naviguait à vue pour se concilier le maximum de démocrates au Congrès sans déplaire au républicains les plus radicaux. Un mois plus tôt il écrivait : « Si je pouvais sauver l'Union sans libérer un seul esclave je le ferais. » La portée juridique du texte était faible puisqu'il s'agissait en pratique de préconiser l'abolition de l'esclavage dans des territoires qui n'étaient pas sous contrôle tout en ne touchant pas à l'institution dans ceux où l'on pouvait agir, mais sa portée réelle fut considérable. Il n'était plus possible après le 1er janvier 1863 pour l'Angleterre et la France d'envisager de secourir le Sud, ce qui aurait été perçu comme une lutte contre l'abolition. Le texte encouragea la résistance passive et parfois active des esclaves, ralentissant le travail dans les exploitations et passant au Nord dès que la proximité de l'armée de l'Union le leur permettait. Lincoln restait fidèle à ses vues premières de laisser l'institution disparaître d'elle-même sans contrainte tout en apparaissant comme le champion de l'abolition.
A la fin de l'année 1863, l'Union réussissait à couper le Sud en deux puis à le limiter aux Etats de la côte atlantique. Ce n'était plus qu'une question de temps pour la victoire finale, les plus douloureuses batailles de la côte Est étant de faible portée stratégique. Le 3 avril 1865, le général Grant prend Richmond la capitale sudiste. Lincoln est assassiné onze jours plus tard ouvrant la longue période de la « Reconstruction », avec l'adoption successive des XIIIe, XIVe puis XVe Amendements à la Constitution, le régime militaire imposé par le Nord aux territoires du Sud, la fondation du Klu-Klux-Klan tentant par l'intimidation et la violence de perpétuer la discrimination raciale et de bafouer les droits civiques des Noirs.
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Après ce rapide aperçu d'un épisode de l'histoire américaine, voici par quelques commentaires personnels laissés depuis le printemps dernier ici ou là sur le net, une sorte de chronique de certains événements récents. Le but est d'ébaucher chez le lecteur une vision du monde radicalement différente de celle, totalement fausse, déversée à flots continus par les médias. On y verra apparaître en sourdine le levier moral, d'une façon bien plus vicieuse et détournée que pendant la guerre de sécession, par l'intervention volontairement inepte d'agents manipulateurs prétendant représenter l'opposition au pouvoir pour mieux , à la fois la rendre inoffensive et la discréditer. On ne lira la plupart du temps que mes réponses sans la propagande qui les a suscitées.
Il apparaît comme une évidence que ce levier moral artificieux va, pour la suite des opérations, être de plus en plus employé par les promoteurs de la nouvelle société totalitaire.
(Cliquer sur les textes pour pouvoir les agrandir en conservant la netteté. Eviter de lire d'un coup les 28 commentaires ou vous allez certainement vous lasser avant la fin...)
L'un de mes premiers commentaires sur le blog de Jacques Attali |
Sur le blog d'Olivier Demeulenaere |
Blog d'OD également |
Sur la chaîne Youtube de l'Institut des Libertés de Charles Gave. Voir en fin d'article le tableau de la dette de la France par mandat présidentiel |
Discours de la "méthode"... |
L'auteur du blog lui-même alterne "numérologie" (666 vu partout...) ou "complot maçonnique" avec quelques propos très sensés, comme ici. |
(Blog d'OD) |
De quoi évoquer directement la chronique américaine placée en introduction.. |
"C'est notre projet..." |
Ce commentaire fut très rapidement supprimé du blog. Trop pertinent ? |
En somme, un résumé de la "méthode" |
Autre sujet mais tout aussi important, pour faire comprendre en quoi nos institutions n'étaient pas bien armées face à la dérive totalitaire |
Autre sujet. Le Courrier tentait, avec beaucoup d'autres, une prédiction auto-réalisatrice prévue par les dingues pour la fin août. |