Pourquoi gravir les sommets? 11
Dans la Petite aiguille Verte |
A cette question, la réponse la plus idiote de l'histoire de l'alpinisme - unanimement considérée comme ultimement spirituelle, ce qui est, au moins depuis Dostoïevski, le propre de l'idiotie - fut apportée par Georges Mallory (1886-1924) à un journaliste de New-York qui le pressait de justifier sa volonté de gravir l'Everest; "Because it is here". ("Parce qu'il est là.")
Léon Vibert abordait le sujet d'emblée dans son manuel de 1943, et, époque oblige, de la manière virile et exaltée suivante:
Léon Vibert abordait le sujet d'emblée dans son manuel de 1943, et, époque oblige, de la manière virile et exaltée suivante:
Léon Vibert, ABC de l'alpinisme, Les éditions J.Susse, 1943 |
Au grimpeur, il est facile de montrer qu'escalader dans ces hauts lieux crée une grandiose ambiance sans commune mesure avec les pans de résine de sa salle d'escalade préférée. Pour peu qu'il sache écouter la sonnerie de son réveil à 3h30... et l'affaire est conclue.
Heure de réveil fréquente pour des voies normales en neige, soit 1h30 au soleil quand même... |
Le réveil matinal abordé par le manuel du CAF de 1904 (Source: Google.books)
|
Au randonneur, qui connaît déjà le plaisir de poser les mains dans quelques passages plus scabreux de ses sentiers habituels (prend-il une corde?), on répondra que la première raison de pratiquer l'alpinisme est que l'excursion s'en trouve plus variée, par conséquent beaucoup plus ludique. Remonter le pierrier à la lueur de la frontale, cramponner le glacier matinal où courent parfois de frêles araignées, franchir la rimaye profonde avec un grand pas puis enfiler ses chaussons pour sentir le granit adhérent sous ses pieds sont les préliminaires d'une journée riche en événements. Il faudra ensuite trouver son chemin parmi les gradins, les dalles, les fissures et les dièdres. Puis on goûtera au sommet au petit sandwich qu'on a préparé en pensant déjà à la descente. La cordelette neuve en prévision du prochain rappel sera glissée dans la poche la plus accessible, les bretelles du sac à dos seront légèrement retendues pour éviter que son fond ne râcle trop le caillou, et on ouvrira l'œil, et le bon, pour retrouver sans encombre le glacier par la voie de descente. Enfin posé sur la moraine, cette frontière entre la haute et la moyenne montagne, on rentrera la corde à l'abri du soleil, on ôtera les baudriers avec un petit soulagement, et ce sera le retour par une belle randonnée avec cette satisfaction en plus, le souvenir brûlant des moments intenses passés là-haut, parce que remplis d'incertitude.
Téléchargement de Alpinisme sans guide à cette page.