Premier piolet: que choisir? 165

Si le piolet est l'outil emblématique de l'alpiniste, ce n'est pas seulement un mythe. Instrument à la fois de sécurité et de progression, il est indispensable en haute-montagne, été comme hiver, et, à l'instar de l'annexe gonflable du voilier de grande croisière dont l'expert incontesté est le jeune adolescent de la famille parce qu'il joue avec sans discontinuer à chaque mouillage au grand dam de son père, en exécutant les pires bêtises ou prouesses, il doit devenir le compagnon familier de son possesseur, à tel point qu'il est recommandé d'acquérir ce piolet le plus tôt possible et de l'emmener dans toutes les microscopiques promenades pour saisir le moindre prétexte de l'utiliser : S'habituer à le saisir en canne à la place d'un bâton, l'ancrer pour grimper les talus abrupts, couper les sentiers raides à la descente en le tenant en ramasse, niveler les mottes d'herbe avant d'installer la tente, traverser les derniers névés des Préalpes au printemps, le glisser derrière la bretelle de son sac à dos dans les pas rocheux des Randonnées du Vertige (ouvrage de Pascal Sombardier - Editions Glénat, 2003) et aller l'essayer un jour sur sa couenne favorite pour voir si on ne pourrait pas coincer sa lame ici ou là dans ce 4b en dièdre.


Premier piolet: que choisir?

De la même façon qu'il est indispensable de couler son premier voilier... - l'acquérir en tout cas dans cet état d'esprit, c'est le voilier d'apprentissage (pas cher) qui doit permettre d'expérimenter toutes les bêtises -, un bon premier piolet est un piolet mort: Il va falloir émousser sa pique de nombreuses fois, écailler la peinture de son manche à force de le taper sur l'arête extérieure des crampons pour détacher un sabot de neige, malmener ses rivets à force de le coincer entre deux rochers ou de soulever les pierres gênantes du bivouac. Aussi faut-il acheter en même temps que ce piolet une lime à métal de bonne taille pour réaffûter avant chaque course la pique, la lame et la panne, afin qu'il soit de nouveau prêt à affronter la glace dense rencontrée en haute-montagne. Et comme tout objet devenu familier, dont on maîtrise le poids, l'équilibre, les surfaces glissantes ou les arêtes agressives, impossible de le lâcher ! Aussi l'inutile dragonne éventuellement vendue avec peut être démontée et laissée à la maison. Un piolet ne se lâche pas, même pendant la chute, et ce réflexe conditionné est à acquérir d'emblée pour le premier piolet, sans aide illusoire quelconque. Une dragonne sur un piolet classique empêche aussi de le changer de main rapidement et augmente le risque de chute pour un alpiniste qui doit déjà surveiller la bonne tension de la corde, ne pas se prendre les crampons dans les bas de pantalon ou dans la corde, veiller à son équilibre, se diriger dans l'obscurité, etc. Même avant la cascade de glace "no leash" des années 2000, la dragonne sur un piolet classique était généralement déconseillée.

"Dragonne. - Elle évite parfois au débutant de perdre son piolet, mais je ne la conseille pas, car c'est une solution de facilité: l'alpiniste doit prendre l'habitude, le réflexe, de tenir son piolet, de l'avoir bien en main." Gaston Rébuffat, Neige et Roc, p.42, éditions Hachette, 1959

"Une dragonne peut se fixer sur le manche (un trou y est percé à cet effet); elle est indispensable en piolet-traction mais vivement déconseillée sur les piolets classiques - pour les débutants du moins car très dangereuse en cas de chute."  B. Amy, P. Beghin, P. Faivre, Alpinismes, éditions Arthaud, 1988

Premier piolet... mais pas le dernier. Voir page 209 de notre manuel.


LA LONGUEUR

Le premier piolet va d'abord fréquenter les voies normales des principaux sommets du massif, dans des courses de difficulté F à PD. Le manche doit être long –  environ 60 cm pour une stature de 170 cm, 70 cm pour une stature de 180 cm – pour 6 raisons: (On recommandait classiquement une longueur telle que le piolet tenu par la tête en piolet-canne, bras tendu le long du corps, situe l'extrémité de la pique au niveau de la cheville.)



1- La meilleure période pour débuter l'alpinisme est le mois de juillet, car les pentes de neige sont alors purgées, le rocher sec, les pentes raides sont en neige, les crevasses sont bouchées, les rimayes étroites, les chutes de pierres sont rares, les jours sont longs, les longues périodes de beau temps fréquentes. On va à cette période le plus souvent évoluer sur une couche de neige épaisse qui nécessite un long manche.

2- L'inclinaison des pentes restera raisonnable (inférieure à 40°), accessibles en cramponnage 10 pointes, avec le piolet essentiellement utilisé en piolet-canne (voir page 35 de notre manuel). Plus le manche est long, plus il est facile et sûr d'évoluer en piolet-canne. Un alpiniste expérimenté va souvent préférer utiliser un bâton télescopique en tenant dans l'autre main un piolet court posé sur l'épaule. L'imiter avant d'avoir acquis certains réflexes risquerait lors d'une chute de se tromper sur les priorités : lâcher le piolet au lieu du bâton, ce qui empêcherait de se stopper en réchappe (à plat-ventre sur le piolet, voir page 46 du manuel). Aussi, dès que la pente est raide, le bâton est laissé planté à l'envers profondément dans la neige (on le retrouvera à la descente) ou replié et glissé dans le sac, pour ne conserver que le piolet dont le long manche en fait une canne confortable.

3- Les pas délicats seront gérés par des utilisations en piolet-ancre (voir page 43 du manuel) ou piolet-ramasse (page 45 du manuel), mais très rarement en piolet-traction, seule technique où un manche long peut être gênant.

4- La descente du bas du glacier en glace en piolet-rampe sera beaucoup plus facile avec un long manche (voir page 75 du manuel) : rampe plus longue permettant davantage de pas avant de devoir réancrer le piolet ; obligation moindre de se baisser en avant pour ancrer en aval, ce qui rend le mouvement moins scabreux.

5- Glisser en ramasse, technique indispensable à acquérir dès la première saison (voir page 47 du manuel pour les autres méthodes de glissade), ne peut se faire qu'avec un manche de longueur raisonnable. Les alpinistes expérimentés emportant un piolet court finissent tous par glisser debout en godille sur les semelles (le piolet court étant tenu à la main en cas de perte d'équilibre) ou sur les fesses. Mais ils ont tous appris la ramasse à leurs débuts avec un piolet long.

6- Une rimaye difficile à franchir en raison d'une lèvre supérieure plus haute que la lèvre inférieure nécessite souvent un long manche que l'on plante horizontalement à mi-hauteur du trottoir pour servir de barreau d'échelle. (Franchir la rimaye, c'est à la page 185 de notre manuel.)

Deux bâtons plantés profondément à l'horizontale fournissent une marche commode pour franchir les hauts trottoirs de neige dure (névés de début de saison coupant les sentiers ou rimayes rébarbatives). Un piolet à long manche peut être utilisé de la même façon.



LE POIDS

Le premier piolet doit être léger, c'est-à-dire en ces temps où le fabricant de matériel d'alpinisme est parvenu au sommet de son art, capable de fournir un outil résistant compatible avec toutes les normes avec un minimum de matériau, l'un des piolets les plus lourds du catalogue ! 400 grammes est le poids en dessous duquel il ne faut pas descendre, faute de pouvoir ancrer efficacement dans la glace. (Le fabricant est en effet parfois bien trop fort dans son domaine, comme ces cordes fines devenues, en voulant réduire encore la force de choc maximale, de véritables élastiques parfaitement enquiquinants quand il faut défaire les nœuds d'un rappel mal lancé ou remonter sur corde fixe.)


LA FORME DU MANCHE

Le manche peut être droit ou légèrement arqué. Arqué, il facilite l'ancrage de la lame, sauf à la descente à reculons d'une pente raide où il le complique (car on cherche alors à ancrer le plus près possible de soi pour pouvoir descendre les pieds). Droit, il facilite l'usage de la panne. Ce n'est pas un critère de choix, mais il faut bannir les formes trop coudées qui freinent la pénétration profonde et sans effort du manche. Ces formes très arquées n'ont d'intérêt qu'en piolet-traction pour ancrer facilement derrière les bosses comme les champignons en cascade de glace.


LA PIQUE

Le piolet doit être équipé d'une vraie pique affûtable, et non seulement d'un manche coupé en biais, car elle ne doit pas glisser contre la glace en technique piolet-canne ou piolet-ramasse, pour offrir un appui sûr.


LA FORME DE LA LAME

La lame doit être de forme classique et surtout pas en forme de banane comme pour les piolets-tractions. Car ces formes banane ne sont pas fiables en piolet-rampe. Sur son modèle Summit (ou Summit Evo), Petzl a ajouté quelques dents sur l'arête convexe de la lame afin d'augmenter le retenue en piolet-rampe. On trouvait déjà ces dents sur le piolet Goulotte de Charlet-Möser.

Si la lame est épaisse, comme sur l'Air Tech Evolution de Grivel, il faudra la maintenir parfaitement affûtée pour espérer pouvoir ancrer dans la glace. Mais elle retiendra mieux dans la neige molle du retour de course. Si la lame est fine, on risque de rayer la neige molle sans retenue, mais l'ancrage dans la glace sera meilleur. (Petzl vante sur ses modèles leur lame, fine en pointe pour la glace et plus épaisse au centre pour la neige molle.)

Soutenons l'attention du lecteur...

LE REVETEMENT DU MANCHE

Le manche gagne à être revêtu d'un antidérapant mais celui-ci va de toutes manières être épluché à force de taper le bas du manche contre les crampons pour débotter (geste indispensable que n'ont pas fait disparaître les antibotts). Si le manche est en métal nu, on peut enrouler un rouleau de caoutchouc d'électricien sur une bonne hauteur. Dans tous les cas, il faut tester l'accroche du manche avec les gants de ski qu'on a choisi pour la saison d'alpinisme et y remédier si elle est insuffisante.

Une butée en bas de manche n'est pas conseillée car elle freine la pénétration du manche en piolet-canne et crée un risque d'accrochage avec le crampon quand on tape le manche pour débotter, donc un risque de chute. Elle est souvent coulissante sur ce genre de piolet et peut alors être ramenée contre la tête. Mais la surépaisseur nuit à l'efficacité de la tenue du piolet par sa tête, et seules les grandes mains peuvent ne pas en être gênées. Plutôt qu'une butée coulissante, il est préférable de créer une légère surépaisseur en bas de manche quand on enroule le rouleau de caoutchouc d'électricien en faisant plusieurs tours à cet endroit. Cela suffit pour réduire le risque de voir le manche glisser des doigts lors de l'effondrement soudain d'une marche de neige. (Sur le piolet dit "G.H.M." montré par Pourchier et Frendo dans leur manuel de 1943, un renflement du manche en bois était pratiqué au niveau de la douille de la pique pour empêcher la main de glisser.)


PANNE OU MARTEAU ?

Panne! Seule la panne permet de creuser rapidement deux tranchées perpendiculaires pour installer un corps mort (chose à faire quand le copain un peu trop lourd a visité un peu trop profondément les sous-sols du glacier...), permet de tailler une marche facilement (dans un pas unique où l'on ne perd pas le temps de remettre les crampons) ou une terrasse de repos (pour souffler un peu dans la pente, à l'écart du risque des chutes de pierres; ou le temps de récupérer la corde au pied du rappel ayant permis de franchir la rimaye dans cette pente encore forte). Pour la plupart des voies normales qui sont des courses de neige, le marteau est inutile. Et quand il est utile, prendre un vrai marteau de rocher en sus, qui est l'outil le plus efficace pour apprendre à planter ses premiers pitons solidement.

Le marteau-piolet viendra plus tard, remplaçant à lui seul le piolet et le marteau, quand on abordera les courses classiques de rocher de niveau D pour réduire le poids total emporté, car on se coltinera alors les deux brins du rappel (au lieu d'un seul dans les courses de neige), les jeux de coinceurs câblés et de friends complets, quelques pitons, de la cordelette, des dégaines supplémentaires, les chaussures dans le sac (car on grimpe en chaussons), des vêtements chauds (car on attend aux relais), un kit minimal de bivouac (au cas où, couverture de survie en forme de sac, rectangle de matelas isolant de la longueur du dos, petite doudoune avec capuche). Ce marteau-piolet, du genre Fox Rock de Simond, devra pouvoir être porté à la ceinture du baudrier dans un porte-marteau, et être sorti d'une seule main dans un pas d'escalade difficile. Son manche très court et sa lame banane réduisent fortement ses capacités en neige mais il reste excellent en glace hormis le piolet-rampe. On ne fait ce choix qu'en étant bien conscient de ses limites. Il n'est donc pas indiqué pour un premier piolet. Ce sera le deuxième...

Ces petits marteaux-piolets étaient aussi appelés "troisième main" aux débuts de la cascade de glace, quand on avait encore peur de casser une lame ou de perdre un piolet. C'était le piolet de rechange. On s'en servait aussi pour visser les premières broches tubulaires ou pour enfoncer celles qui était à frapper (broches à épines, Snarg de Greg Lowe). Ils prenaient alors la succession des vieux marteaux à glace dont était friand Walter Bonatti pour nettoyer les portions de rocher recouvertes de verglas.


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Les modèles de marque française recommandables pour un premier piolet sont :

- Le modèle Summit Evo de Petzl : 420g en 59cm ou 450g en 66cm, manche légèrement galbé. 

- Le modèle Ocelot de Simond : 425g en 60cm ou 450g en 68cm, manche droit.




Après avoir skié tout l'hiver, il est temps maintenant d'acquérir son premier piolet, et de saisir le moindre prétexte pour l'utiliser. Sur le GR20, certains randonneurs emportent un piolet pour sécuriser les passages sur les derniers névés du mois de juin.

L'autochtone en Chartreuse est très en forme: le mouflon, nombreux, galope dans les pierriers puis remonte les parois, le chamois dévale les couloirs à longues enjambées en sifflant, le chocard rivalise dans ses voltiges, bien décidé à remporter le grand concours du printemps. Tandis qu'à l'étage inférieur, homo sapiens, hébété, porte encore un masque dans les villes, tout à sa peur honteuse d'une maladie imaginaire...

Pour les randonneurs qui se demandent s'ils ne vont pas compléter le piolet par une corde en début de saison, l'article n°17 devrait les intéresser. Avec notamment un lien vers LA vidéo indispensable de Mike Barter sur l'assurage à la main.

Le reste du matériel remplissant le fourgon est à l'article 106. Pour la première saison, intendance plus modeste, c'est à l'article 41.

Saussure, le sommet, c'est le point le plus haut