Des armes pour l'alpiniste autonome 29

La courte-échelle, technique d'escalade universelle
La courte-échelle, technique d'escalade universelle, par Théophile-Alexandre Steinlen, illustrateur suisse (1859-1923). Domaine public, source: gallica.bnf.fr


Dans ses manuels de voile, Gilles Barbanson  avait tenu à offrir à ses élèves des solutions concrètes pour gérer des situations courantes pourtant difficiles à maîtriser pour un plaisancier lambda. Il avait notamment conçu deux armes très efficaces:
     - Vent arrière dans une brise forte et sur la mer du vent, son conseil était radical. Plutôt que de laisser la grand-voile et sa bôme risquer de traverser brutalement et dangereusement le bateau à la moindre erreur de barreur qui doit concilier le maintien de l'assiette du bateau, la tenue du cap et la limite d'empannage, l'instruction pour l'équipage familial qui n'est pas en régate et souhaite simplement rentrer au port le plus sûrement possible et sans blesser personne, est d'affaler la grand-voile, de la ferler solidement sur la bôme et d'attacher celle-ci sur un bord à distance des crânes fragiles. On continue alors sa route sous voile d'avant seule sans se soucier du passage inoffensif  du foc quand le barreur se laisse déborder par une vague. Le voilier a moins tendance à se coucher sur le dos de la vague et accélère moins. Tout devient gérable même si l'équipage n'est pas très affûté.
     - Au moteur dans un port, un équipage réduit peut avoir de réelles difficultés à effectuer les manœuvres qu'il souhaite par vent fort. Entre ce que le barreur a prévu et la trajectoire que le voilier suit réellement, il y a souvent un monde… Alors, dans un port difficile, l'instruction était simple et claire. Puisqu'à basse vitesse, les filets d'eau décrochent du plan antidérive, que l'étrave ne tient plus le bout au vent et que le bateau se vautre sur un bord, faites votre manœuvre cul au vent.
  
  Ces armes, si simples et dérisoires qu'elles paraissent étaient le fruit d'une longue réflexion d'enseignant de la voile. Le plaisancier qui les applique sans difficulté est toujours très étonné de leur efficacité. Le mérite de Gilles, comme tout bon enseignant, était de rendre limpides les choses compliquées.

   Imaginant quelles armes un manuel d'alpinisme pouvait proposer à ses lecteurs qui pratiqueraient de façon autonome un alpinisme de plaisance, il fallait pour reproduire  la démarche que l'outil soit facile à mettre en pratique, et qu'il réponde à des situations fréquemment rencontrées en haute-montagne. Trois armes nous ont semblées indispensables:

   Le bivouac (p.84 de notre manuel) est l'arme pour démystifier la montagne. On se souvient des phrases de James F. Cooper dans Le dernier des Mohicans: "Des maux plus réels étaient précédés par l'attente de mille dangers imaginaires."  "En un mot, la crainte, qui grossit tous les objets, commença à l'emporter sur les calculs de la raison et sur le courage." Le premier obstacle rencontré lors d'une course d'alpinisme est de franchir la porte du refuge pour s'enfoncer dans la nuit. Le second est de vaincre ce fameux mal des rimayes qui est l'envie de renoncer devant la première difficulté technique impressionnante rencontrée. Avoir passé la nuit dehors, avec ou sans tente, c'est s'être approprié la montagne pendant toute une nuit et cela rend plus fort.

   La remontée sur corde fixe (p.103 de notre manuel) est l'arme technique numéro un pour résoudre les embrouilles de la haute-montagne. Un pont de neige qui crève sous vos pas, une corde mouillée qui refuse d'être rappelée, un relais dépassé lors d'un rappel trop expéditif. Les occasions ne manqueront pas de jouer les funambules le long de votre corde verticale.

  Le pas d'artif (tire-clou, pédale ou étrier - p.151 de notre manuel) et ses dérivés (courte-échelle, calage de piolet, lancer de corde sur un becquet, utilisation d'une perche pour mousquetonner à distance) sont l'arme pour anéantir l'exposition des passages. La seule règle du jeu, dans cette étrange compétition que vous livrez à vous-même, est de ramener la cordée en bon état. Le principe en haute-montagne consiste le plus souvent à franchir en libre ce qui est le moins fatigant et le plus rapide à franchir en libre, et à franchir en artif ce qui est le moins fatigant et le plus rapide à franchir en artif. Le reste est de la littérature.

Alpinisme sans guide et pas d'artif