La corde de randonnée, que choisir? 17

Corde de randonnée


La marche sur glacier n'est pas de la randonnée:

Eliminons d'entrée de jeu la marche sur glacier enneigé. Elle n'a rien à voir avec la randonnée car s'extirper d'une chute en crevasse demande du matériel (corde, baudriers, cordelettes pour réaliser des nœuds autobloquants, sangles pour réaliser pédales ou relais, crampons, piolet), et les connaissances pour l'utiliser  (confection d'un corps-mort et remontée sur corde fixe essentiellement). Il s'agit donc ni plus ni moins d'alpinisme. Peu importe qu'on atteigne ensuite un sommet ou pas.

Emporter une corde pour un randonneur:

Beaucoup de randonneurs sont tentés d'acquérir une corde de randonnée. Ils y voient une possibilité de faciliter les passages difficiles que les sentiers présentent parfois au franchissement de petites barres rocheuses. Ils y voient aussi la possibilité de sécuriser ces passages pour leur compagne moins téméraire ou leurs enfants dont ils se sentent responsables.
Les cordes de randonnées proposées dans le commerce ont classiquement une longueur de 30 mètres, mais on en trouve maintenant d'une longueur de 20 mètres. Leur diamètre est celui d'une corde à double (faible diamètre autour de 8 mm) et elles répondent maintenant généralement aux normes des cordes dynamiques à double (1 seul brin à mousquetonner) ou jumelées (2 brins à mousquetonner ensemble).
Tout ceci ne va pas. Pourquoi?

La raison essentielle, outre que de nombreux passages délicats sont en traversée où la corde ne sera pas d'une grande utilité, est que le randonneur ne va pas utiliser sa corde en la mousquetonnant. La corde est son seul matériel. Il ne s'est encombré ni d'un baudrier, ni de mousquetons, ni de sangles. Il a prévu de déplier sa corde au pied du passage, de se l'accrocher autour de la taille, de franchir le passage, de se caler derrière un rocher, et d'assurer au corps ou en faisant frotter la corde derrière un becquet, à l'ancienne, sa compagne encordée à l'autre bout de la corde, ou bien la tenant simplement en main courante, comme les anciens procédaient avant qu'on ne songe, face aux accidents dus au lâchage de la corde, à s'encorder autour de la taille.

Les bons choix pour une corde de randonnée:

La première conséquence de cette utilisation "à la main" est qu'il va lui falloir une corde de gros diamètre qui tienne bien dans la main. Ce n'est pas le cas des cordes de randonnée proposées sur le marché. Choisissez  du 10mm.
La seconde conséquence est que cette utilisation rudimentaire de la corde ne va permettre que de franchir de courts passages chacun son tour. Certainement pas 30 ni même 20 mètres de cette façon. Alors, bonne nouvelle pour le poids de votre sac à dos, le gros diamètre sera compensé par une plus faible longueur. Personnellement, j'emporterais 15 mètres grand maximum.
La troisième conséquence est qu'il serait bien de se familiariser avec les techniques de progression en mouvement en lisant des manuels d'alpinisme et de consulter des vidéos pédagogiques comme celles, excellentes, de Mike Barter sur YouTube. Surtout celle-ci.

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Ajout du 31 juillet 2020:
Cet article ayant rencontré un succès inattendu et ininterrompu, il peut être utile de le compléter. En effet, il serait dommage de s'arrêter au progrès réalisé par l'encordement à la taille par rapport aux premières utilisations de la corde tenue à la main. Le dernier accident notoire de lâchage de la corde eut lieu le 15 août 1860 à la descente du versant italien du col du Géant (qu'on descend aujourd'hui en téléphérique...) et perdit trois Anglais et le guide Tairaz. Le guide de tête et le guide de queue, qui tous deux furent indemnes, lâchèrent la corde quand une glissade entraîna les clients et le guide du milieu qui étaient liés à la corde. L'accident fut relaté par Whymper dans son Guide à Chamonix et dans la Chaîne du Mont-Blanc (librairie A.Jullien, Genève, 1910).
Ensuite on s'encorda, d'abord à la taille, bien serré. Dans son manuel de 1959, Neige et Roc, Gaston Rébuffat se montre le plus souvent encordé à la taille. Cependant, beaucoup préféraient réaliser deux boucles, l'une venant à l'épaule en guise de bretelle. Celle-ci était destinée à empêcher la boucle horizontale de descendre vers les côtes flottantes. On portait alors cette boucle horizontale assez haut,  à la manière des harnais utilisés encore aujourd'hui pour la plaisance, là où la cage thoracique rigide est supposée pouvoir supporter le serrage dû à un choc et une suspension. Ce n'était donc plus stricto sensu un encordement à la taille mais entre la taille et les aisselles.
Cependant, il est impossible de tenir bien longtemps suspendu de cette façon, encore moins pour un randonneur (ou une randonneuse) chargé de son lourd sac à dos... Déjà Pierre Allain, en 1956, recommandait dans L'Art de l'Alpinisme un baudrier indépendant de la corde, mais sa construction était de même facture que ce que les spéléologues et les amateurs de big-walls nomment des "torses" , donc comparable à l'encordement direct avec deux boucles dont une pour l'épaule.
C'est à partir des années soixante-dix que se répandit l'usage d'un véritable harnais complet emprisonnant les cuisses et permettant cette fois une suspension prolongée confortable. Le cuissard, seul utilisé actuellement en escalade (hormis les longues remontées de cordes fixes d'un big-wall où l'on ajoute souvent un torse),  vint plus tard et se généralisa dans les années quatre-vingts, quand on sut qu'une chute en arrière tête en bas avait plus de chance de se terminer favorablement pour le grimpeur si le point d'encordement haut d'un harnais complet ne l'obligeait pas à se redresser violemment en fin de chute avec un risque majeur pour la colonne vertébrale.
Bref, si vous souhaitez bonifier votre équipement pour la randonnée (15 mètres de corde à simple d'au moins 10mm de diamètre), il serait grandement profitable d'acquérir un anneau de sangle et un mousqueton à vis par personne afin de vous confectionner pour un poids minime (80 grammes l'anneau de 120 cm) un baudrier de fortune selon l'image suivante:


Baudrier de fortune en sangle, présenté devant l'Obiou

Il ne reste plus qu'à trouver sur internet les multiples vidéos expliquant comment réaliser le nœud d'encordement en huit qui va relier la corde aux 3 boucles de la sangle (ne pas interposer un mousqueton entre la corde et les trois boucles de la sangle car ce mousqueton ne travaillerait pas selon son axe fort). Harnaché de cette façon, le second, même chargé avec son sac à dos, pourra se reposer confortablement sur la corde maintenue tendue, sans paniquer pour cause de douleur ou de difficulté à respirer.

Tant que vous y êtes à étudier les nœuds, vous pouvez également mémoriser le nœud de demi-cabestan (voir ce gif) et acheter une sangle supplémentaire. Si en haut du passage d'escalade se trouve une écaille  ou un becquet rocheux solide à coiffer avec une sangle, ou encore un arbuste ou un barreau d'échelle à entourer, il sera possible d'assurer le second plus confortablement et avec plus de sécurité que l'assurage à l'épaule.

Nœud de cabestan et de demi-cabestan
A gauche: le nœud de cabestan, qui sert à se vacher. A droite: le nœud de demi-cabestan qui sert à assurer.

nœud de mule sur demi-cabestan
On bloque momentanément un nœud de demi-cabestan en faisant un nœud de mule de cette façon. Il faut bien entendu le serrer (la photographie le montre lâche pour mieux montrer sa construction). S'il doit rester sans surveillance, à ce blocage on ajoute une sécurité en nouant bien serrée la boucle obtenue autour de la corde tendue.

Muni de ce matériel, on se méfiera quand même d'au moins deux situations:

1/ La première est un passage d'escalade difficile au point de rendre possible la chute du premier de cordée. Si la conformité du terrain est susceptible de prolonger votre dégringolade bien plus bas que l'endroit où votre compagne attend au pied du passage d'escalade, la corde va l'entraîner dans la chute. Il est préférable dans ce cas qu'elle ne s'encorde qu'une fois votre position sécurisée en fin de passage, et qu'en attendant, elle tienne simplement son extrémité de corde à la main pour pouvoir la lâcher à temps. Vous expérimenterez ainsi les bons offices du service d'urgence de l'hôpital le plus proche tout seul... (Le portable est donc dans son sac à dos et non dans le vôtre...)

Quand on s'encorde à quelqu'un en mouvement (absence de relais), on lui fait généralement courir le risque de ses propre lacunes, ce n'est pas forcément un cadeau qu'on lui fait. Encorder ses enfants en mouvement alors que ceux-ci sont naturellement plus habiles et spontanés en escalade que leur père un peu lourdaud est parfois une très mauvaise solution. Il peut être préférable de grimper sans corde derrière eux à intervalle très rapproché pour pouvoir les parer ou tenir leurs chaussures sur les petites prises de pied. Ainsi, si le père tombe, il n'entraîne personne dans sa chute.

2/ La deuxième situation est un passage d'escalade qui comporte une grande composante de traversée. Le second risque alors un pendule en cas de chute. Il faut impérativement s'intéresser à la zone de réception de ce pendule. Le second risque-t-il de s'écraser contre une paroi latérale, ou de heurter un arbre ou une protubérance rocheuse? Une fois le pendule réalisé, le second se trouvera-t-il sur un terrain qu'il sera capable d'escalader ou pendra-t-il au bout de la corde sans rien pouvoir faire, faute à une paroi trop raide et sans prise? (Face à une telle situation, un grimpeur place des protections intermédiaires pour fractionner le risque de pendule de son second.)

Enfin, en cas de gros doute sur l'issue du passage scabreux, on peut employer la technique infaillible qu'utilisent, plusieurs fois chaque saison, tous les alpinistes adeptes des carrières longues: renoncer.