Pointe Jeanne, arête sud-ouest 145

 Attention, sommet célèbre ! Au Salon des Champs-Elysées de 1894, le peintre de montagne Charles Bertier, formé par l'abbé Guétal, rencontre un certain succès avec une immense toile (deux mètres sur trois mètres vingt) intitulée Vallée du Vénéon au plan du Lac. Y figure forcément au centre la Pointe Jeanne, qui se voit ainsi attribuer par le jury une "mention honorable". En gravissant ce sommet, vous allez de cette façon entrer dans l'histoire...

Le 8 août 1879, soit trois jours après avoir enlevé le sommet central et point culminant de la Tête de Lauranoure (voir article précédent), les mêmes, Albert Carbonnier flanqué de ses deux guides Pierre Gaspard père et fils, réalisent la première ascension de la Pointe Jeanne, cette fois renforcés par la présence de l'alerte Charles Rabot, membre de la Société des Touristes du Dauphiné. Ils passent à la montée, non pas par le col du Crouzet puis l'arête nord de ce qui était nommé jusqu'alors la tête Méridionale des Têtes Bessonnes (l'actuelle Pointe Lemercier étant la tête Septentrionale), mais par le grand névé qui va jusqu'au sommet et toujours parcouru actuellement en hiver par les skieurs de randonnée. Pour Charles Rabot qui fit alors le récit de l'ascension dans l'Annuaire de la STD, le nom de montagne du Crouzet ne s'appliquait qu'au pâturage en contrebas où l'on rassemblait les brebis pour leur donner le sel, et non aux têtes jumelles. Quoi qu'il en soit, l'expédition est rondement menée. Le 8 août à 1 heure 30, donc de nuit, la caravane quitte Saint-Christophe. A 4 heures, elle remonte les pentes herbeuses au-dessus du vallon de la Lavey. A 10 heures 40, elle prend pied sur le névé. Et 20 minutes plus tard elle atteint le sommet. La descente est commencée à 13 heures 45 jusqu'au col des Têtes Bessonnes (nommé actuellement col du Crouzet) rejoint en quelques minutes. Puis les alpinistes dévalent en glissade le versant vallon des Etages, rencontrant une dernière résistance dans la présence d'une barre rocheuse haute de 100 mètres. Ce ne sera qu'à 18 heures que la caravane arrivera au hameau des Etages.

Il fallut attendre 1947 pour que deux amateurs téméraires tentent un autre accès. Le 12 septembre, Jean Zellweger, alors curé d'Huez depuis six ans et originaire de Rive-de Gier dans la Loire, et son compagnon J. Barbat, gravissent l'arête sud-ouest.

En 1950, l'abbé Zellweger publiera Trois Curés en Montagne, récit empli d'humour de ses débuts en haute-montagne, sous le pseudonyme de Jean Sarenne, du nom du célèbre glacier de l'Alpe d'Huez. Il livre également la même année un autre ouvrage Le Trésor des de Montal.


Si vous êtes accro à l'Oisans sauvage, méprisant superbement dans votre ascèse toutes les pages d'Oisans Nouveau des livres du regretté père Cambon (c'est-à-dire les voies modernes spitées),  voici "de la pure": Un gneiss amphibolique (l'amphibole est un minéral vert sombre), à la qualité très variable, bien éloigné de l'impeccable gneiss migmatisé typique de la Lavey comme celui de l'arête ouest de la Tête des Fétoules, qui, sans être mauvais, réclamera une attention de tous les instants (voir Géo-alp.com de Maurice Gidon). Un itinéraire pas si simple, facilité maintenant par nos nombreux cairns dont certains ne survivront pas deux saisons. Une course absolument désertée depuis longtemps dont le Labande n'offre que 5  courtes lignes de description. Pour vous aider, vous bénéficierez de nos deux anneaux de rappel à R1 et R2 pour repérer plus facilement l'attaque. La cordelette de R1 est bleue. Celle de R2 est rouge. Et bien sûr, la sauvagerie des lieux commence par le plaisir du bivouac, qu'on ira installer vers 2325m, au milieu des chamois, à l'endroit où le chemin du Lac des Fétoules redescend sur celui du refuge; la basse altitude de ce refuge de la Lavey (1797m) s'étant déjà rendue responsable de trop d'échecs dans la voie normale des Fétoules pour cause de fatigue excessive et de réveil tardif...

En début de saison, deux petits écoulements à une trentaine de mètres du bivouac (côté refuge et non côté Lac des Fétoules) sont suffisants pour un brin de toilette et remplir les gourdes. Mais au mois d'août, il sera plus prudent de faire provision d'eau (4 litres au moins pour deux personnes) soit au refuge, soit dans le torrent issu du glacier des Fétoules que le sentier traverse si on a choisi l'itinéraire passant par le Lac des Fétoules.

On stationne au parking de Champhorent, situé en contrebas de la route de La Bérarde.


Le sentier de la Lavey, après avoir traversé le Vénéon sur le pont de pierre en dos d'âne (1701m), remonte le ruisseau de la Muande.

Long mais facile en passant par le refuge de la Lavey; court mais raide en passant par le lac. A chacun son tempérament...

Oui, il est assez profond pour se baigner... Mais les moustiques veillent...

Les emplacements de bivouac abondent. Celui-ci se trouve 10 mètres au-dessus du sentier, à l'endroit où celui du lac des Fétoules redescend sur celui du refuge de la Lavey.

Le gros cairn en forme de poire caractéristique du lieu

Le réveil n'a pas besoin d'être précipité car l'approche ne parcourt aucune pente de neige raide ni aucun terrain crevassé

Les pentes ne sont pas raides mais la neige est dure le matin. Crampons indispensables.

Ici, on se sépare des cordées retardataires pour la voie normale de la Tête des Fétoules. (Celles-ci devraient être ici au lever du jour pour éviter de descendre la partie raide en neige pourrie).

Ne pas aller à la base exacte de l'arête car le premier ressaut est très difficile. Nous avons laissé un cairn à l'attaque, mais résistera-t-il longtemps? Ne pas hésiter à nettoyer largement les trois premières longueurs de leurs caillasses si aucune autre cordée n'est présente en contrebas.

En trois longueurs et demi, en rejoint l'arête. Puis à droite du fil, puis à gauche.

Le crux, c'est cinq mètres d'escalade vers le haut. Puis après avoir redescendu quelques mètres en traversée vers la droite, on franchit le fil pour se retrouver sur le flanc droit.

Le reste de la voie se déroule à droite du fil. On remonte des couloirs en rocher blanc sain, puis on traverse vers la droite sur du rocher foncé coupant proche du fil, pour passer au couloir suivant de rocher blanc, ceci plusieurs fois. Les cordées plus sportives pourront parcourir des portions du fil de l'arête aérienne mais le rocher y est douteux et surtout recouvert d'un lichen épais.

On sera bien heureux à la descente de retrouver les cairns qu'on a construits pour s'y retrouver dans le dédale d'arêtes secondaires.


La vue depuis le point culminant est comme celle de la quasi-totalité des sommets de l'Oisans: lumineuse, étendue et exceptionnelle. Pourquoi avoir tant attendu pour venir déranger les cailloux branlants de cette sommité?


Ce seront vos cairns très rapprochés les uns des autres qui vont vous permettre de redescendre sans vous tromper. Deux petits rappels sur becquets rocheux (20 mètres) en toute fin de descente seront confortables mais non indispensables.

Un autre atout du bivouac: la maison est plus proche. Le long sentier du retour au parking de Champhorent, c'est demain, après une bonne nuit de sommeil.


Matériel:
(Bien entendu, aucun matériel dans la voie sinon les deux anneaux de rappel que nous avons laissés.)
Corde conseillée: corde multilabel de 45 mètres.
3 pitons et un marteau.
Quelques mètres de cordelette 6 ou 7mm et un canif.
Chaussons déconseillés (trop de caillasse et aucun pas difficile).
Casque.
5 friends petits et moyens (n°1 au 2,5).
Un jeu de coinceurs câblés  et décoinceur.
6 grandes sangles.
2 petites sangles.
4 dégaines et 8 mousquetons libres.
2 mousquetons à vis et un descendeur par personne.
2 anneaux de prusik par personne.
Boussole, altimètre, morceau de carte IGN au 1/25000e.
Pantalon soft-shell robuste, fourrure polaire, petite doudoune, bonnet, lunettes de soleil.
Piolet, crampons, gants de ski pour l'approche.
Gourdes nombreuses en fin de saison, matériel de bivouac.
Trousse de premiers secours.
Frontales et couvertures de survie au cas où.

Au moment de faire son sac, ne rien oublier (Rébuffat)

Arête sud-ouest de la Pointe Jeanne - Voie J.Barbat, J.Zellweger, 12 septembre 1947. Cotation du Labande: PD. Horaire du Labande: 4h30 du refuge de la Lavey (fantaisiste). Cotation proposée: AD si les cairns disparaissent. Hauteur des difficultés: environ 300 mètres.

Extrait de la carte de Duhamel, Oisans
Extrait de la carte de Henry Duhamel (cartes de l'Oisans publiées à partir de 1879)


Eloge du bivouac? Trois Curés en Montagne de Jean Sarenne, extrait:

"Rien n'est aussi énervant qu'un dormeur qui ronfle. Je vois en lui l'ennemi numéro un de l'alpiniste. Vous êtes mal à l'aise sur un bat-flanc inconfortable, vous êtes un peu excité par la fatigue, et préoccupé par la course du lendemain, vous savez qu'il vous faut du repos, au moins quelques heures de sommeil. Avec méthode vous cherchez à vous endormir, et à côté de vous un monsieur s'amuse à vous en empêcher. Quand il devine que son bruit devient familier et supportable, il le change. Toutes les ruses lui sont bonnes. Il sait varier ses effets. Il ronfle du nez, puis de la gorge; il s'amuse à faire croire qu'il fume la pipe, il fait "Hrrr, pfue, hrr, pfue", puis d'un seul coup il s'étrangle il râle, on croit qu'il va trépasser, on a peur qu'il y reste et on l'espère en même temps, et ça recommence. Parfois il pousse l'astuce jusqu'à faire croire qu'il en a assez. On n'entend plus rien. On savoure ce silence, on se dépêche de le mettre à profit pour devenir enfin inconscient, mais l'ennemi guette et, au bon moment, il revient à la charge. Quand il s'arrête à nouveau, l'inquiétude qu'il recommence empêche de mettre à profit la période de répit, et l'on rage à la pensée que l'importun profite d'un bonheur qu'il vous interdit."