La liberté par François Sureau 115
Depuis le milieu des années quatre-vingts, la liberté est de plus en plus mal considérée en France. On la tient comme le caprice narcissique de quelques égoïstes incapables de vivre en société ou comme un individualisme infantile qu'il faut combattre. Les Français font également preuve d'une grande naïveté vis à vis de l'Etat, incapables qu'ils sont de reconnaître le retour du despotisme dans l'affirmation fallacieuse selon laquelle la sécurité serait la première des libertés. Ils ne voient pas le danger d'un état d'urgence qui transfère le pouvoir judiciaire au pouvoir administratif, anéantissant bien sûr la séparation des pouvoirs, mais surtout remplaçant la responsabilité de l'individu face à ses actes fautifs par une dangerosité sociale où l'on peut être puni non en raison de ce que l'on a fait mais à cause de ce que l'on pourrait faire. Ce risque perdurant, la punition devient illimitée. On comprend ici pourquoi les problèmes soulevés par l'état d'urgence sécuritaire sont des enseignements précieux pour l'état d'urgence sanitaire actuel. En effet, le risque infectieux existera toujours. Faut-il en conséquence renoncer définitivement à nos libertés et s'en remettre à l'Etat, devenu garant sanitaire, pour réglementer nos déplacements pour toujours?
L'essentiel, nous dit François Sureau, est de ne pas perdre de vue le projet républicain initial qui est de proposer comme souverain le citoyen libre. Pour construire cette utopie d'une société d'hommes libres, la liberté considérée comme projet n'est alors plus la propre liberté de chacun au sens narcissique du terme, mais la liberté d'autrui que chacun se propose de garantir. En clair, vous qui êtes non-fumeur protégez la liberté d'autrui de fumer et acceptez d'en assumer les éventuelles conséquences financières pour les comptes de la Sécurité Sociale, pendant que les non pratiquants de sports de montagne protègent votre liberté de pratiquer l'alpinisme, en acceptant aussi d'en assumer les éventuelles conséquences, et tout le monde est libre.
Dans ces conditions, François Sureau insiste sur le point suivant: "Toute atteinte portée à nos droits individuels, même les plus banals, nous affecte dans notre condition de souverain, de citoyen-souverain." La liberté est au centre de notre projet politique, et c'est pour cette raison que nous luttons contre le mal en respectant certaines formes. Si nous abandonnons ces formes, à quoi bon lutter puisque nous perdons l'essentiel? C'est la raison pour laquelle la lutte contre une épidémie pas plus que la lutte contre le terrorisme ne justifie d'aliéner nos grands principes de liberté. En médecine, on rappelle qu'il sont: 1/ Le libre choix du médecin par le malade. 2/ Le libre choix du traitement par le médecin. 3/ Le consentement éclairé du malade obtenu de façon loyale. 4/ Le secret médical.
Un tel abandon des grands principes de liberté est d'autant moins légitime qu'il n'apporte aucune efficacité, que ce soit en matière sécuritaire ou en matière sanitaire. Tout le monde sait maintenant que les pays qui ont porté le plus atteinte à la liberté de leurs populations sont aussi ceux où l'épidémie a été la plus importante. Ce faisant, non seulement on s'est éloigné de notre projet de société, mais on s'est éloigné de la réalité. On entre alors dans un autre monde, parallèle, celui d'une société totalitaire hors-sol, dont le seul but pervers n'est plus que le contrôle de plus en plus parfait des individus redevenus sujets, voire réduits aux simples éléments d'un cheptel.
Ecoutez la captivante conférence de François Sureau en cliquant sur l'image suivante:
Une conférence de François Sureau |
-Voir aussi l'analyse de l'état d'urgence sanitaire par le Syndicat de la Magistrature qui tente de défendre nos libertés. Le site internet ici.
-Montesquieu disait qu'il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante. On pourra mettre en perspective cette recommandation des Lumières qui a inspiré nos démocraties occidentales avec l'avalanche de lois, ordonnances, décrets promulgués depuis le mois de mars, en consultant le site Doctrine. Et on ne compte pas les arrêtés préfectoraux et municipaux.