Les crampons: outil de progression et non de sécurité? 51

Crampons, outil de progression


En 1943, Edouard Frendo et Marcel Pourchier présentaient ainsi l'usage du piolet (La technique de l'alpinisme, édition Arthaud, publication reportée après la guerre en mai 1946):
"Le piolet, utilisé dans la marche sur le glacier, sert à deux fins:
      1/ Comme instrument de sécurité (appui et assurance).
      2/ Pour la taille des marches. "

Plus loin, les auteurs introduisent les crampons:
"Les crampons sont des instruments permettant de gravir rapidement, sans tailler, des pentes de neige dure ou de glace de sérac allant jusqu'à 65° environ, de glace de couloir allant jusqu'à 50-55° au maximum."
Il n'est pas question "d'instrument de sécurité". Mieux, à la page 144, un paragraphe est consacré au "Danger des crampons":

Danger des crampons

Gaston Rébuffat, brillant élève de Frendo, complète le discours en 1974 (Le massif des Ecrins, les 100 plus belles courses, éditions Denoël) en conclusion d'un paragraphe consacré au risque de glissade:
"Egalement, ne pas croire que les crampons sont automatiquement une garantie; c'est même le contraire, si l'on ne sait pas cramponner car ils procurent alors une fausse sécurité, ou encore si la neige "botte" sous les crampons."

Plus loin dans l'ouvrage culte des années soixante-dix, à la 53e course consacrée à l'arête nord-est des Trois Dents du Pelvoux, le guide le plus pédagogue de l'histoire mondiale de l'alpinisme devient franchement explicite:
"Si l'on revient par le glacier des Violettes, les crampons peuvent être utiles selon les conditions; inversement, il est bon de ne chausser les crampons que s'ils sont vraiment indispensables, car sur la neige, ils peuvent donner une fausse impression de sécurité alors que, d'une part, c'est le contraire et que, d'autre part, dans l'apprentissage, il convient de s'habituer à la marche sur neige et pour cela que le pied ait un contact direct."

Patrice de Bellefon, en 1987 (L'Alpinisme, éditions Denoël), met en garde à la fin de son chapitre consacré à la glace sur le danger d'accrocher les crampons dans le freinage d'une glissade (technique dite de "réchappe", face à la pente):
"Crampons aux pieds - cas le plus fréquent sur la glace -, il ne faut surtout pas tenter de se freiner avec leur secours. Au contraire, on veillera à les lever pour éviter que les crampons en s'accrochant ne transforment la glissade en une succession de bonds terrifiants."

On voit que les crampons, au contraire du piolet, apportent  en plus de leurs avantages incontestés un inconvénient de taille: Ils rendent la chute potentiellement plus dangereuse et l'auto arrêt plus difficile à exécuter.

Bien entendu, dès que la neige est dure ou qu'on est en présence de glace, leur chaussage devient indispensable:
  - pour éviter la taille de nombreuses marches (technique obsolète);
  - pour réduire le risque de glissade;
  - pour avoir une chance de retenir le compagnon encordé qui glisse.

La formule un peu expéditive, "outil de progression et non de sécurité", signifie donc simplement que les crampons certes limitent le risque de chute, mais que si on chute quand même, les crampons de celui qui a chuté occasionnent un risque supplémentaire.

Marcher sans crampons sur neige dure, c'est ici:
"Kicking steps in snow"