Grande longueur en glace: gérer le nombre de broches (+ Fréaux 23 février) 158
... à ne pas tomber dans ces portions! |
Il y a la manière scolaire. Votre longueur fait 45 mètres. Vous avez pris 9 broches, nombre raisonnable quand on n'a pas prévu dans la journée l'exploit du siècle. Vous imaginez en garder 3 pour le final: Une pour vous vacher en fin de longueur, le temps de confectionner un abalakov pour le relais avec la deuxième qui est une longue broche, la troisième étant une sécurité si vous en faites tomber une, ce qui arrive plus souvent qu'on ne croit. Il vous en reste donc 6 pour la longueur, délimitant 7 portions avec un espacement des broches de 6,42 mètres.
De cette façon bien appliquée, la hauteur de chute potentielle est de 12,85 mètres, auxquels on ajoute le mou, le glissement de la corde et son élasticité, donc une quinzaine de mètres au moins. De quoi espérer profiter largement d'un survol du vallon en hélicoptère...
Puis il y a la manière alpine. Elle ne consiste pas à se lester avec vingt broches jusqu'à ne plus pouvoir grimper mais à économiser celles-ci dans les portions faciles, c'est-à-dire faciles dans les conditions de glace du jour, la forme physique et morale du jour, et le niveau technique du grimpeur. Et dans ces portions faciles, on continue bizarrement à assurer sa sécurité par la méthode de base universelle de toute pratique montagnarde: on fait gaffe, spécialement sur les mille-feuilles peu inclinés où une croûte de glace mince recouvre une neige poudreuse inconsistante.
Si dans cette longueur de 45 mètres, vous ne vissez la première broche qu'à 15 mètres, puis que vous renouvelez la performance dans une autre portion facile de la cascade, il va rester 4 broches divisant les 15 mètres restants en 5 portions de 3 mètres, soit une hauteur de chute théorique diminuée à 6 mètres, une possibilité raisonnable de toujours pouvoir redésescalader vers la dernière broche en cas d'impasse et une bien meilleure gestion du stress dans la portion dure en voyant la proximité de cette broche.
Ainsi, en espaçant les broches quand vous le pouviez, vous avez paradoxalement augmenté largement votre sécurité quand vous en aviez besoin.
Cette façon de faire est exactement celle qu'une cordée expérimentée utilise en haute-montagne dans les courses de rocher. La portion difficile d'une longueur est truffée de coinceurs pour limiter la hauteur de chute, mais on ne peut le faire que parce qu'on a placé peu de protections dans la portion facile. Ici s'ajoute à la question de la gestion de nombre de protections emportées celle de la gestion du tirage. Avoir surprotégé la portion facile deviendrait un véritable handicap quand on aborderait la portion dure: On ne possèderait plus le friend du bon numéro et on lutterait comme un âne contre un tirage d'enfer, sans même avoir l'excuse... d'être dans le Vallon du Diable.
Janvier, Vallon du Diable, an 3 du Totalitarisme covidiste |
Ce 29 janvier 2006, date du cliché, Erection (ou la cascade de la Balme) était en excellente condition et facile à grimper en raison des nombreux passages. |
Le livre de référence pour la neige et la glace: Glace et Neige, Yvon Chouinard, éditions Arthaud, 1981 (1978 pour l'édition originale de San Francisco sous le titre de Climbing Ice) |