A quoi servent les cordes jumelées? 87
Avertissement: Cet article s'adresse à des grimpeurs maîtrisant les notions de facteur de chute et de force de choc maximale, et connaissant les différences fondamentales entre cordes à simple (single rope), à double (half rope) et jumelées (twin rope).
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| Corde à double /Corde jumelée |
Les cordes jumelées sont avec les cordes multilabels les cordes d'escalade les plus récentes. Elles n'ont jamais connu un important succès, et ceci est facilement compréhensible, car c'est le sort de toute naissance basée sur un malentendu. Quel est-il?
La corde jumelée est la fille de la corde à double, et deux motivations ont animé ses créateurs:
1- proposer une corde d'un poids plus faible que la corde à double, argument incontestable;
2- permettre aux grimpeurs, nombreux, qui utilisent de façon erronée leur corde à double, de continuer à le faire, objet plus contestable.
Aujourd'hui encore, le nombre de grimpeurs et d'alpinistes mousquetonnant les deux brins de leur corde à double, parfois en exposant qu'un brin de corde à double ne supporterait pas la chute de facteur deux et qu'il serait donc plus sûr de mousquetonner les deux brins dans le premier point, voire les deux premiers points de la longueur, frise l'indécence. Face à cet irréductible comportement qui entraîne une force de choc trop élevée, bien supérieure à celle d'une corde à simple, alors qu'un des intérêts de la corde à double est précisément de bénéficier d'une force de choc inférieure à celle d'une corde à simple, les fabricants, tournant l'adversité, inventèrent une sorte de corde à double dont, non seulement on peut mais on doit, mousquetonner les deux brins à la fois. L'argument du poids faible devait emporter l'adhésion du plus grand nombre.
Le désamour de la corde jumelée
Malheureusement, la corde jumelée échoua à rencontrer le succès pour de nombreuses raisons:
- La première raison, la plus forte, fut psychologique. Les brins d'une corde jumelée, très fins, font frémir quand on y est suspendu, l'imagination voyant forcément la gaine reposer, tout là-haut, sur un rocher tranchant...
- La deuxième raison, plus justifiée, est la durée de vie de la corde. Finesse égale fragilité, à l'usure, aux coups de crampons, etc., et ces cordes-là n'étant pas données, et les bourses n'étant pas infiniment extensibles…
- La troisième raison est la difficulté de freinage bien réelle d'une corde fine. Elderid fabriqua son microjul pour cette raison. D'autres remirent à l'honneur le nœud de demi-cabestan et devinrent adeptes du "relais suisse" (voir ici).
- La quatrième raison est l'obligation de s'équiper de rallonges de dégaines pour gérer le tirage, ce qui fait perdre un des intérêts de la corde à double.
- La cinquième raison est une force de choc comparable à celle d'une corde à simple, mais bien supérieure à celle d'une corde à double bien utilisée. En glace, la corde jumelée n'est en conséquence pas plus indiquée que la corde à simple (voir Glaces, Manu Ibarra et Jérôme Blanc-Gras, éditions Blue Ice, 2011, page 146). Ce sera la même chose sur coinceurs douteux ou rocher fragile (comme le grès).
- La sixième raison est l'impossibilité d'assurer deux seconds à la fois, chacun sur un brin, ce qui est rédhibitoire pour les cordées de trois.
- La septième raison est l'impossibilité d'assurer le second sur un seul brin pour pouvoir hisser le sac du leader sur le second brin, ce qui est également rédhibitoire pour les cordées souhaitant pouvoir affronter des courses d'un niveau élevé par rapport à leur niveau gestuel pur.
On n'est alors plus surpris que les cordes jumelées disparaissent progressivement des catalogues, obligeant les derniers opiniâtres à comprendre enfin qu'une corde à double ne se mousquetonne que sur un brin pour abaisser la force de choc maximale (voir Appendice 1 page 259 du manuel, pour ne plus confondre énergie et force); et que cette force de choc maximale peut dépasser les normes admises si l'on mousquetonne les deux brins d'une corde à double.
La corde jumelée est morte. Vive la corde jumelée!
Mais le fabricant de textile, sûr de sa technologie, ne s'avoua pas vaincu et tourna une nouvelle fois la fantaisie du consommateur. Celui-ci tenait à tous les avantages de la corde à double et s'obstinait à vouloir en mousquetonner les deux brins? Qu'à cela ne tienne! On allait lui proposer une corde jumelée qui répondait aussi aux normes des cordes à double.
C'est ainsi que tous nos catalogues présentent maintenant des cordes jumelées qui sont en réalité des cordes à doubles très légères (avec un prix à payer qui est la fragilité) dont on a le droit, cette fois, de mousquetonner les deux brins ensemble sans dépasser les normes de force de choc maximale. L'outil, grâce à l'aide surprenante et providentielle du dilettantisme du pratiquant, devenait abouti.
Acquérir une corde jumelée pour réduire le poids dans des courses d'envergure est donc tout à fait licite. C'est du reste un choix fréquent chez les alpinistes de haut niveau qui en connaissent parfaitement les limites. La fragilité de brins aussi fins fera parfois renoncer à remonter sur corde fixe un rappel coincé et il faudra dans ce cas posséder un haut niveau d'escalade pour aller récupérer sa corde autrement. L'assurage au corps sera aussi beaucoup plus difficile à maîtriser, tout comme la vitesse d'un rappel en fil d'araignée chargé d'un gros sac. Bref, ce genre de corde n'est pas conseillé à la cordée d'apprentis montagnards qui veut pouvoir rattraper, seule, sans limites techniques, en réelle autonomie, toutes les bévues qu'elle a pu commettre.
On gardera à l'esprit que si l'on peut mousquetonner les deux brins en restant dans les normes de force de choc d'une corde à simple, cette force de choc reste supérieure bien entendu à celle obtenue en ne mousquetonnant qu'un seul brin. Le mousquetonnage des deux brins sera donc réservé aux points "bétons" (donc pas en cascade de glace), et certainement pas à tous les points de la longueur, au risque d'entraîner un tirage augmentant artificiellement le facteur de chute par le fait que seule la dernière partie de la corde fonctionne de façon élastique.
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Forces de choc pour la corde Béal Gully unicore 7,3mm
(tiré du site beal-planet.com)
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Ce dernier lien est mort, l'ENSA ayant modifié son site internet et ayant supprimé toutes les pages pourtant très bien faites du laboratoire d'essai qui explicitaient de nombreuses normes. On pouvait encore y lire en 2019 le paragraphe suivant, extrait d'une capture d'écran:
