Recherche d'itinéraire en terrain non fréquenté: savoir rentrer à la maison 46

Une agréable manière de pratiquer l'alpinisme consiste à choisir des lieux très peu fréquentés dont la difficulté reste modeste (PD ou AD). Avoir à disposition un couloir, une face, une arête, voire une montagne entière, pour soi tout seul est le grand privilège de l'autonomie. On peut trouver ce charme par exemple dans le Valgaudemar au pic des Souffles ou au pic de Chabournéou (en passant par le col de la Pierre), ou encore en Haute-Romanche au pic Gaspard, notamment dans sa face sud-ouest. 

Il faut cependant reconnaître que le manque de fréquentation trouve souvent ses raisons dans la qualité incertaine du rocher, parfois dans la difficulté de s'assurer et surtout dans la complexité des itinéraires. Dans ces terrains de cailloux branlants typiques du massif des Ecrins, on a tôt fait de se retrouver dans un dédale de couloirs et d'éperons ruinés, coupés de longues dalles moutonnées où n'entre aucun coinceur ni piton. Si l'escalade permet à vue de choisir facilement les passages les plus commodes, ce qui compense le manque d'assurage, une retraite pourrait au contraire vite devenir plus compliquée si on ne réussit pas à retrouver avec exactitude l'itinéraire de montée. De quoi se mettre en fâcheuse posture quand aucun relais solide ne peut être installé au-dessus d'une section raide et lisse pour tirer un rappel.

Face sud-ouest du pic Gaspard, une succession de couloirs et d'éperons ruinés

plus semblables les uns que les autres

Que la descente soit prévue par le même versant ou qu'il faille prévoir la possibilité de l'échec du sommet, avoir son billet de retour pendant la totalité du voyage présente un je ne sais quoi de douceur dans un monde de brute. Dans ces conditions, on s'autoriserait presque à oublier complètement que le machin électronique sensé appeler les secours en cas de coup dur puisse ne pas capter le réseau… On ne compte plus les appels désespérés des cordées engagées dans la recherche de la voie perdue (la voie Piaget) au pic Gaspard faute de savoir redescendre le tas de cailloux pourtant gravi, mais cruellement coupé de zones bien lisses qui se ressemblent toutes.

Redescendre (ici dans la face sud-ouest du pic Gaspard)

Alors, comment faire pour ne pas se perdre? Les anciens lecteurs de Charles Perrault ont bien sûr un avantage inéquitable. La solution, très simple, consiste à baliser son itinéraire de montée au fur et à mesure de l'ascension. Le matériau qui ne manque pas en Oisans étant le caillou, inutile d'en bourrer ses poches comme le Petit Poucet, on en trouvera à tous les étages.

Dans la face sud-ouest

Vos jolis cairns, car c'est de cela qu'il s'agit*, gagneront à respecter quelques critères:

  - Etre visibles à la descente. Sur un rocher lisse, de petits cailloux se voient très bien. Sur une vire empierrée, il faut choisir les gros calibres s'il l'on veut espérer distinguer le cairn des pierres environnantes.

  - Ne pas entraver le passage, au cas où une cordée exceptionnellement aventureuse aurait choisi ce jour-là de se perdre en même temps que la vôtre.

  - Avoir un minimum de stabilité afin d'avoir une chance de les retrouver à la descente malgré le vent fort ou la pluie. Si ce  critère est délicat à obtenir, il est idiot que le premier de cordée s'escrime à monter un cairn qui va être balayé immédiatement par la corde. Ce sera la tâche du second.

  - Ne pas provoquer de chute de pierre en cas d'effondrement, donc trouver le compromis idéal entre la visibilité (position vers l'abîme) et sa dangerosité (cairn vers la paroi moins dangereux).

  - Etre visible depuis le cairn précédent de façon qu'il soit impossible de perdre le fil d'Ariane. De la sorte, la rapidité de la désescalade pourtant appréhendée, mais réalisée sans hésitation, vous surprendra vous-même. S'ils sont suffisamment rapprochés, des cairns minuscules faits de trois ou quatre cailloux restent efficaces. N'hésitez pas à les multiplier.

  - Signaler clairement les emplacements où vous avez prévu de poser un rappel, afin de ne pas rechercher longuement les becquets ou les fissures propices déjà reconnus, sûrement là où vous avez fait relais à la montée pour assurer le second dans la longueur difficile.

Enfin, au fur et à mesure de la descente, si votre itinéraire s'avère être une impasse sans intérêt, ou que vos cairns conservent un certain risque de chute de pierres, il est possible de les démonter. Prendre son propre cairn instable sur la tête serait l'aventure à ne surtout pas raconter aux copains déjà bien assez taquins…

*Emil Zsigmondy avait même utilisé des morceaux de papier rouge comme il l'indique dans son ouvrage Les dangers dans la montagne (page 60 de l'édition française, librairie Fischbacher, 1886):
"Afin de faciliter notre descente, nous avions marqué notre passage avec des bandes de papier rouge, placées sur les rochers les plus en vue, principalement aux endroits où la route faisait un angle. La position de ces papiers indique la direction à suivre. Ce procédé, imaginé par mon ami l'alpiniste G.Greyer, de Gratz, est très recommandable: le papier rouge se voit à de grandes distances à travers le brouillard et même avant qu'on ait reconnu la structure des roches. En temps ordinaire, ce système peut rendre aussi de grands services sur un terrain très mouvementé; en redescendant, par exemple, un versant très abrupt, il est souvent difficile de reconnaître si tel passage est bien celui utilisé pour l'escalade. Par contre, pour marquer un chemin en vue de l'ascension, il est préférable de construire de petits cairns qui se voient très bien depuis le bas, les morceaux de papier placés horizontalement ne peuvent pas rendre le même service."