Le gendarme rouge du pic Central du Vaccivier 127

Apprendre l'alpinisme efficacement nécessite des terrains de jeu intermédiaires entre l'escalade en salle ou en couennes et l'aventure d'une voie classique de haute-montagne. Les grandes voies équipées permettent de rôder quelques  manœuvres de corde aux relais mais la pose des protections comme le début d'une recherche d'itinéraire y sont absents. On peut alors se tourner vers des voies équipées partiellement, l'ouvreur n'ayant volontairement sécurisé que les relais et les pas non protégeables par coinceurs ou sangles. Il est prévu que l'escaladeur vienne avec son matériel pour pouvoir répéter ces voies. On reconnaît bien sûr le principe des voies de Michel Piola qui rencontrent un succès ininterrompu dans le massif du Mont-Blanc depuis des décennies. Cependant, le ticket d'entrée des voies Piola est assez élevé. Si les grimpeurs de 6a-6b devraient se tirer d'affaire sans trop de difficultés dans Les Lépidoptères au Peigne, ils devront déjà s'employer au maximum dans les crux de Nabot Léon à Blaitière, le reste de la production du Genevois étant le plus souvent bien au-delà des capacités du varappeur moyen.

Alors il faut se rendre tout au fond de la vallée de la Séveraisse pour trouver le terrain d'apprentissage idéal, sis au pic Central du Vaccivier qui surplombe le refuge du Pigeonnier. On y trouve une escalade courte, faisable tout l'été, équipée solidement et surtout durablement de beaux goujons inoxydables (Piola y reconnaîtrait les siens!), avec une approche sur un névé dur nécessitant les crampons (sauf en fin de saison ce qui est dommage car les sacs seraient trop légers pour nécessiter le pédagogique hissage de celui du leader) , et une descente en désescalade en terrain délité mais tellement meuble qu'il n'est pas si périlleux. L'ensemble forme une course miniature variée où l'on pourrait même se perdre très légèrement dans la 5e longueur si l'on ne sortait pas suffisamment vite du dièdre par la gauche (sans conséquence si on a su éviter d'envoyer les pierres instables à son second, car on retrouve la voie plus haut après avoir fait relais sur becquet rocheux). On doit cette voie de 2016 au guide du Valgaudemar Rémy Karle et à l'actuel gardien du refuge du Pigeonnier (et ancien moniteur d'escalade) Olivier Parent. L'emplacement des points est irréprochable, ne cherche surtout pas à terroriser les répétiteurs (le crux en 6a de L6 peut être facilité par une pédale), et les cotations sont bienveillantes. Que demander de plus?

Le passage en dalle de la sixième longueur donne tellement l'impression d'un granite que le grimpeur, perplexe après les longueurs précédentes de rocher fracturé aux angles saillants typiques du gneiss, ne pourra que consulter une fois de plus le formidable site du géologue Maurice Gidon: géol-alp.com. Il découvrira alors que les pics du Vaccivier sont intégralement constitués du gneiss caractéristique du vallon de la Lavey, c'est à dire assez fortement migmatisé. De la sorte, certaines plages peuvent ressembler à s'y méprendre à du granite par le phénomène d'anatexie ou fusion partielle (sous l'effet des pressions et de la température). La bonne page chez Maurice Gidon ici.

Image extraite de géol-alp.com de Maurice Gidon avec ses conditions d'utilisation

Au retour, plutôt que de descendre directement sur le parking du chalet-hôtel du Gioberney, on peut atteindre directement le lac du Lauzon (remontée de 30 minutes après avoir franchi le torrent à la descente), destination favorite et justifiée des promeneurs, pour un bivouac de plus dans un petit coin de paradis. Elle était pas belle la retraite du roi Godomar?

[Il faudra bien sûr revenir une autre année pour parcourir alors du terrain brut où il n'est plus si facile de redescendre à tout moment (c'est ce qu'on appelle l'engagement, à ne pas confondre avec l'exposition d'un passage): Arête sud du pic Ouest du Vaccivier (AD) et voie Frendo aux Rouies (beaucoup plus longue, AD) sont les classiques du secteur.]

Hélène Vary était, rue Pierre Fontaine, la jolie voisine un peu taciturne de Toulouse-Lautrec