Les courses de rocher AD: La traversée Aiguille Occidentale - Aiguille Centrale du Soreiller 183

Les courses de rocher AD sont celles où l'on va devenir montagnard. La raison est que la difficulté modérée laisse la possibilité de s'assurer en mouvement, tandis que quelques sections plus corsées imposent de procéder par longueurs. C'est le passage d'un mode d'assurage à un autre, et le fait de le pratiquer à bon ou à mauvais escient, qui est éminemment formateur. Mieux, l'assurage en mouvement lui-même va pouvoir, quand certaines sections sont vraiment faciles (ce qui est le cas pour la course d'aujourd'hui puisque trois arêtes sur les quatre parcourues sont cotées PD), bénéficier de variations de la longueur d'encordement: encordement court dans les sections faciles (faciles pour les deux membres de la cordée...), façon de faire qui privilégie la rapidité; encordement plus long avec pose de protections intermédiaires ou simple passage de la corde de part et d'autre des becquets de l'arête pour les sections qui méritent plus d'assurage. On pourra utiliser plusieurs méthodes pour réduire et allonger l'encordement. La méthode classique consiste à prendre quelques anneaux de buste. Une méthode confortable consiste à plier en écheveau la partie de la corde qui ne servira pas et à la placer dans l'un des sacs. Celui qui porte la corde en excès s'encorde avec un nœud de huit sur mousqueton à vis directionnel ou mieux avec un nœud de chaise avec clef Yosemite directement au baudrier. L'autre grimpeur s'encorde en bout de corde à une quinzaine de mètres, puis prend des anneaux de buste arrêtés par un second nœud pour de nouveau réduire à cinq mètres. Ces anneaux seront libérés quand on passera de l'encordement court sans placement de protections à l'assurage dit en corde tendue avec pose de protections intermédiaires. On peut aussi utiliser le magic-ring (voir cet article pour se fabriquer un magic-ring grande taille convenant aux gros mousquetons de type Goliath HMS de Simond).

Multiplier les courses de rocher AD pendant ses premières années d'alpinisme est indispensable, quel que soit son niveau gestuel en escalade, i.e. même si vous êtes un grimpeur de 7 à la salle ou en couennes. Si vous grillez les étapes en vous lançant trop précocement dans des courses D voire TD, vous serez à l'avenir peu capable de reconnaître rapidement les sections où il faut raccourcir la corde, démonter le relais et progresser simultanément. Inversement, la griserie de la vitesse que permet l'assurage en mouvement risque de vous masquer plus tard la nécessité d'enfin poser un relais dans cette section parsemée de pas bien retors. Les courses de rocher classiques (de niveau D) nécessitent, comme les courses de rocher AD, une dose d'assurage en mouvement. Réaliser ce genre de courses intégralement en posant des relais allongerait considérablement l'horaire, ce qui nuirait à la sécurité globale de la cordée. C'est aussi le cas pour un certain nombre de courses de rocher TD. Ainsi pour le Pilier Sud des Ecrins, la progression corde tendue est de rigueur jusque peu après la jonction avec l'Arête Rouge (bivouacs sur la droite). On pose le premier relais (et on met les chaussons) au pied du grand dièdre menant, tout là-haut, à la Tour Grise. On procède par longueurs pendant la totalité du bastion (escalade jamais extrême mais soutenue et aux possibilités d'assurage comptées: ne mépriser aucune fissure...), miroir compris, puis on repart corde tendue dans les interminables éperons ruinés terminaux. Ce sera alors votre gros passif de courses de rocher AD qui vous fournira l'aisance de passer de façon pertinente d'un mode d'assurage à un autre. Voilà pourquoi vous êtes ici.

L'M des Ecrins en quelque sorte: On escalade l'arête Sud de l'Aiguille Occidentale (PD), on redescend par son arête Est (PD, proximité de la voie normale), on remonte par l'arête Ouest de l'Aiguille Centrale (AD), et on en redescend par son arête Sud (PD)

Le bout de la carte d'Henry Duhamel (domaine public)

Valentin Serov girl pose le sac à dos ici, vers 2800m, après avoir dépassé sans freiner l'ambiance urbaine du refuge du Soreiller. Il faudra dégager la neige de la terrasse convoitée.

L'objectif est juste au-dessus du bivouac. Eau à volonté à quatre mètres de la tente. La sécheresse, c'est uniquement à la télé des dingues...

René Vincent girl est heureuse d'abord fini son terrassement. Plus tôt en saison, il aurait fallu la pelle. Au loin, l'Aiguille du Plat de la Selle, la vraie montagne du coin.

Dallage de rigueur...

En face, la vue est bien sûr très laide, à l'instar, comme vous le savez, de toutes les vues de l'Oisans. Pour la Pointe Jeanne, c'est ici.

Attention! Ne pas se fier au tracé du Labande. L'attaque est bien à la base de l'arête, à gauche, et non en haut à droite des premières barres rocheuses.

Comme Melle Gerbault est réjouie de s'être levée tard! 4h30, car il faudra tout de même penser à redescendre en fin de journée le bivouac dans la vallée...

L'approche est facile en cette saison, car bénéficie de névés étendus.

Le soleil atteint rapidement les Fétoules. Plus bas, les premières cordées faisant un aller-retour à la voie normale de la Dibona et venant de l'immense refuge (110 places) sont déjà là.

L'attaque est évidente. Il s'agit vraiment du pied de l'arête, légèrement à gauche du fil.

Et cela se met à grimper vraiment. Les courses de rocher d'un niveau modéré ne sont pas de la marche, qu'on se le dise... On allonge l'encordement pour des passages de ce genre, et on pose des protections. Le second est discipliné et ne crée pas un mou dangereux pour le premier en avançant trop vite.

L'escalade n'est pas soutenue, l'ambiance est débonnaire.

Même si la perspective finit par se creuser...

On n'oublie pas d'éviter le dernier grand gendarme par la gauche (côté ouest). Les deux clichés sont ici pris en regardant vers l'arrière.

Au sommet de l'Aiguille Occidentale, les grands sommets les plus proches sont le Râteau et la Meije.
 
Le Pic Gény masque la muraille de Bonne Pierre.

Melle Gerbault n'a pas oublié la Cime du Montagnon ni la Tête de Lauranoure.

La descente de l'Aiguille Occidentale est une formalité. Aucun rappel. Le morceau de choix est l'arête Ouest de l'Aiguille Centrale, cette fois cotée AD, qui -attention!- commence par un crochet à gauche du fil (non visible sur le cliché). Voici le tracé vu depuis le névé de retour de course et les deux longueurs conseillées. L'escalade est en fissures larges aussi les chaussures sont sans doute plus utiles que les chaussons pour verrouiller efficacement (et sans douleur). Réviser auparavant l'escalade en fissures avec Jay Smith! (voir le lien dans la bande latérale du blog dans la rubrique "Apprendre")

Une fois dépassée la jonction entre les arêtes Sud et Ouest, on voit la Dibona au bout de l'arête, puisque si l'on en croit le géologue Maurice Gidon, l'extraordinaire face sud donnant l'illusion d'une pointe effilée n'est que l'effondrement de l'extrémité d'une arrête secondaire à partir d'une diaclase (La bonne page chez Gidon ici). En somme, la Dibona n'est qu'un simple gendarme de l'Aiguille Centrale, elle-même gendarme de la Pointe d'Amont. Est-il bien raisonnable finalement de grimper en suant sang et eau sur un gendarme de gendarme à la poursuite des plaquettes brillantes?... Revenir sans faute pour la Voie des Savoyards.
 
Voici les rochers terminaux, horizontaux. Vous verrez arriver ici les cordées venant de la Pointe d'Amont, qui en ont fait la traversée par son arête Nord (D, une voie Migot de 1932) depuis la Selle. Course conseillée.

Comme vous voici de l'autre côté de la Dibona qui divise en deux parties le cirque du Soreiller, vous voyez maintenant l'Aiguille Orientale. Son arête Sud est parcourue par une autre voie AD (une Fourastier), conseillée, peu fréquentée.

Si ce n'est pas déjà fait, il faudra réaliser la traversée du Pic Gény (escalade en dalles), en attendant un peu que la descente sèche de ce côté, puis la voie des Plaques (PD+) à la Tête du Rouget, enfin le Pilier Chèze (D-), court, peu fréquenté, bon rocher, facilement protégeable comme celui de la Tête Sud du Replat..

Le premier rappel (chaîné) est juste en dessous de la jonction entre les arêtes Sud et Ouest. Du sommet, il faut donc repartir en arrière jusqu'à cette jonction. On peut faire un second rappel pour éviter une partie de la désescalade.

*
ÉPILOGUE

Et comme on a bien fait "Jay Smith" et ses beaux verrous de pied, il n'y a plus qu'à ressortir la Speedy Stitcher pour refaire les coutures qui ont sauté! Vous connaissez je suppose l'excellente plaisanterie du monsieur aux lunettes cassées sur internet: "Il ne faut pas acheter des vêtements fabriqués en Asie par des ateliers clandestins qui exploitent les enfants.... Parce que... les coutures, elles tiennent pas..."
Ceci dit, les Trango de La Sportiva restent d'excellentes chaussures.


Matériel conseillé:
Une corde multilabel de 50m
4 friends de taille moyenne
un petit jeu de coinceurs câblés et un piton
4 grandes sangles avec leurs mousquetons
4 dégaines
cordelette 6mm en vrac et canif
piolet classique pour l'un, marteau-piolet court pour l'autre (pour pouvoir retaper les pitons des rappels de descente si besoin - seul le relais du haut est sur goujons) de type Fox de Simond
crampons
Descendeur et son mousqueton à vis, + mousqueton à vis directionnel
magic-ring possible
casque, baudrier léger de type ski-alpinisme
pantalon soft-shell, sous-pull, fourrure polaire, k-way, gants en polaire, bonnet compatible avec le casque, lunettes de soleil
chaussures précises pour grimper du IV
topo de la voie, morceau de carte, boussole, montre-réveil-altimètre
sac à dos d'alpinisme léger (1kg maxi)
trousse de secours
papier toilette et vivres de course
gourde
matériel et vivres de bivouac

(Remarque: Celui qui viendrait avec une corde de longueur inférieure à 50 mètres aurait à stopper son premier rappel de la descente de l'Aiguille Centrale à l'un des deux ancrages intermédiaires sur pitons. Moins expéditif mais faisable. Cordelettes à vérifier et pitons à retaper.)

Alpinisme Sans Guide, un livre, un blog