Les deux premières parties ont cherché à montrer les faux-semblants des événements survenus dans la vallée du Vénéon en juin 2024 qui ont conduit à confisquer la nature à la liberté:
- route départementale 530 indemne dans sa portion pourtant interdite;
- inaction curieuse du barrage du Plan-du-Lac ayant favorisé l'inondation du gîte du Plan-du-Lac et de la route sous le village de Saint-Christophe;
- absence de toute dangerosité dans le hameau pourtant décrété zone interdite;
- narratif préétabli (et non issu de la science) d'un lac imaginaire propre à affoler les esprits;
- préméditation dès la création en 1974 de la Réserve naturelle du Haut-Vénéon d'inclure La Bérarde dans la zone liberticide du parc national;
- essor extraordinaire du néo-pastoralisme déficitaire - archétype du crony capitalism - conçu pour empêcher de passer par la morsure; (voir encadré en fin d'article)
- multiplication des parcs nationaux au plus près des populations en guise d'encerclement des classes "dangereuses" comme on le voit à Marseille, et bien sûr arrêté préfectoral de 2012 créant le Périmètre de protection de la Réserve naturelle du Haut-Vénéon, qui interdit sans autorisation de la préfecture après avis du parc national, les remblais pouvant canaliser ou réguler (création de seuils) les torrents des Etançons et du Vénéon.
Les clous étant posés, il reste à les enfoncer solidement.
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| Antigone donnant sépulture à Polynice - Jean-Louis Bérard, 1825 |
On étudiera à cette fin dans cette troisième partie la représentation théâtrale qui fut donnée ce mois de juillet 2025, quand la mairie de Saint-Christophe en Oisans entreprit
une procédure de référé-suspension devant le Tribunal administratif de Grenoble aux fins de suspendre l'arrêté départemental d'interdiction de circulation et de stationnement sur la RD530. On lira
en suivant ce lien la décision du tribunal, qui débouta la mairie de ses prétentions.
Mais avant d'aller plus loin, mettons les choses au clair concernant la liberté que nous avons en France de contester par des arguments une décision de justice, au contraire du bluff habituel de l'éditorialiste complice agitant l'article 534-25 du code pénal. Nous avons de la chance, l'actualité sarkozyste récente fut l'occasion pour le Club des Juristes de rédiger un court et très clair topo sur le sujet: Est-il interdit de critiquer une décision de justice? Du reste, comme on va le voir, ce n'est pas tant la décision des juges que nous allons contredire que la collusion fréquente des parties, à laquelle s'ajoutent le passif historique du droit administratif comme le fait, qu'en France, au contraire des USA, le juge juge sur les pièces qu'on lui fournit et ne répond qu'aux questions qu'on lui pose. Il est dans ces conditions possible, en France, de manipuler un tribunal pour obtenir de lui la réponse que l'on souhaite. On cherchera en vain le vice dans la réponse quand il faut le trouver dans le choix d'une procédure et dans les questions d'un mémoire.
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1. LE CHOIX D'UNE PROCEDURE
La procédure du référé-suspension, comme celle du référé-liberté, a été créée par la loi n°2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives. (La France avait alors pour Président de la République Jacques Chirac, pour Premier ministre Lionel Jospin, pour ministre de la Justice Elisabeth Guigou et pour ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement.) Comme l'indique l'article 2 de la loi (créant l'article L.511-1 du Code de justice administrative), "le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais." Il est donc possible de porter ensuite l'affaire au fond, quel que soit le résultat du référé, sans qu'il n'y ait plus nécessité d'une urgence, ce qui élimine la cause la plus fréquente des échecs de ce type de procédure.
L'article 5 de cette même loi crée l'article L.521-1 du même code, ainsi rédigé:
"Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
"Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision."
C'est ce qu'on appelle le référé-suspension. (N.B.: caractères gras par nous.)
L'article 6 de cette même loi crée l'article L.521-2 du même code, ainsi rédigé:
"Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures."
C'est ce qu'on appelle le référé-liberté.
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Le choix de la mairie de Saint-Christophe en Oisans ou de son conseil juridique d'utiliser le référé-suspension plutôt que le référé-liberté surprend. Plus lente (entre 48 heures et un mois au lieu de 48 heures maximum), cette procédure indique qu'on renonce d'emblée à mettre au centre du désaccord l'atteinte aux libertés fondamentales. Donnant l'apparence d'une plus grand souplesse, elle ne permettait dans l'affaire qui nous intéresse que d'apporter le très faible argument supplémentaire du préjudice économique qui ne pouvait qu'être immédiatement détruit pour 5 raisons:
1/ L'activité économique de La Bérarde ou de Saint-Christophe en Oisans est objectivement quantité négligeable, même si cette façon brutale de le dire peut être évidemment difficilement écoutable pour les personnes directement touchées.
2/ Le néo-pastoralisme, sous perfusion d'argent public, n'est pas une activité économique réelle, et par surcroît, l'arrêté départemental ne touche pas à un seul cheveu de ce capitalisme de connivence.
3/ Les pouvoirs publics ont fait pleuvoir la générosité du contribuable sur les gardiens de refuges, les guides, les commerces, afin de compenser le préjudice économique.
4/ Il était trop facile d'argumenter que le préjudice économique avait pour cause les intempéries de juin 2024 et non l'arrêté litigieux.
5/ Il était trop facile de dire que dans notre bienveillante République, les impératifs de sécurité de la population l'emportaient bien entendu sur les intérêts mercantiles des uns ou des autres.
Le choix du référé-suspension abandonnait donc d'entrée de jeu l'appui de la pyramide de Kelsen. Car si les impératifs de sécurité l'emportent sur les intérêts économiques, ils ne sauraient, nonobstant les totalitaires qui voudraient faire de la sécurité un droit fondamental (ce que tenta malicieusement mais en vain, car sans portée constitutionnelle, l'article L111-1 du Code de la sécurité intérieure, créé le 12 mars 2012 par ordonnance!), l'emporter sur la liberté fondamentale d'aller et venir et le droit de propriété, droits inaliénables situés au sommet de la hiérarchie des normes, dont la source est la Déclaration de 1789. On lira avec profit à ce sujet l'article du professeur de droit Xavier Dupré de Boulois intitulé Existe-t-il un droit fondamental à la sécurité? qui conclut ainsi: "...il nous semble que la promotion d'un droit fondamental à la sécurité serait inutile, perturbatrice et dangereuse. (...) dangereuse en ce que cette promotion aurait essentiellement pour fonction d'affermir des politiques publiques de sécurité déjà fort "exubérantes". "
Bien sûr, le mémoire présenté au Tribunal administratif n'oublia pas d'invoquer ces deux droits fondamentaux, mais il était impossible aux juges d'y voir autre chose qu'une allégation, à défaut d'avoir choisi la procédure reine. Quand on vous coupe une jambe, vous ne vous plaignez pas qu'on vous a volé votre porte-monnaie sauf à vouloir n'être absolument pas crédible...
2. CARENCE DES ARGUMENTS DECISIFS
La mise en cause de l'arrêté départemental interdisant la circulation et le stationnement sur la portion de RD530 allant de Saint-Christophe en Oisans (pour le stationnement) ou Pré-Clot (pour la circulation) jusqu'à la Combe de Pierre Noire était pourtant d'une simplicité biblique. Il suffisait de produire devant le tribunal deux constats d'huissier (puisque le juge en France - rappelons-le encore une fois - ne juge que sur pièces et n'a pas le pouvoir de lancer des investigations sur le terrain, tout au plus peut-il demander une expertise, le plus souvent à la demande d'une des parties):
- un premier constat montrant que la portion de route interdite à la circulation avait été parfaitement étrangère à la crue de juin 2024, les seuls travaux notables ayant été la mise aux normes du petit pont avant le hameau des Etages afin qu'il réponde à celles du passage d'une navette;
- un second constat montrant les très nombreuses possibilités de stationnement entre le hameau des Etages et La Bérarde.
Ces deux pièces suffisaient à mettre clairement en évidence l'absence de légalité de l'arrêté départemental. Le grossier mensonge était démasqué, la messe était dite.
3. UTILISATION D'ARGUMENTS SPECIEUX
Au lieu de ça, on préféra arguer de la gêne occasionnée par l'arrêté litigieux pour les riverains, ajoutée à l'allégation non démontrée et fragile (cf. supra) d'un préjudice économique pour ces mêmes riverains. C'était évidemment réduire à l'infime la nuisance d'un arrêté qui confisquait une route parfaitement indemne à la circulation pour les 80000 visiteurs que compte chaque saison la vallée du Vénéon, haut lieu touristique de l'Isère, dont les retombées économiques indirectes sur la région entière ont très vite donné à la route de La Bérarde le sobriquet de route-réclame du Haut-Dauphiné. (La route de La Bérarde, André Allix, Revue de Géographie Alpine, 1922/10-3)
Affaiblissant gravement la portée du préjudice en le focalisant sur les résidants, pour lesquels il était facile d'opposer les dérogations dont ils bénéficiaient, on laissa par surcroît prospérer l'argument adverse spécieux selon lequel l'existence d'une navette relativisait l'atteinte à la liberté d'aller-et-venir. Ici, on ignorait superbement que la méthode de la triple vérification est une démarche successive comportant une hiérarchie, et qu'avant de démontrer qu'une privation de liberté est proportionnée (3e étape), il faut d'abord montrer qu'elle est adaptée (1ère étape). Par surcroît, la nécessité de réserver à l'avance l'aller ET le retour pour une navette ne faisant que trois trajets par jours, rendait ce moyen de substitution totalement inadapté à la pratique de la haute-montagne en l'absence de tout moyen d'hébergement à La Bérarde et de l'interdiction de camping-sauvage et de bivouac en retour de course.
Par ailleurs, on ne se soucia pas de mettre en cause la démonstration fragile du rapport du RTM (transformant par pure rhétorique invoquant le "réchauffement climatique" un événement plus que centennal en risque permanent), et le fait que ce service de l'ONF, c'est-à-dire de l'Etat, ne pouvait pas davantage se réclamer de la science, laquelle exige une totale indépendance, que la justice ne peut être crédible en l'absence de séparation des pouvoirs. On est ici forcé de rappeler que le maire actuel de Saint-Christophe en Oisans, Jean-Louis Arthaud, retraité, fut chef de triage à l'ONF, ceci expliquant peut-être cela...
Pire, on présenta au parti liberticide l'offrande de la soumission, l'arrêté municipal faisant du hameau de La Bérarde une zone interdite servant à confirmer l'existence bien réelle d'un danger, puisque même le demandeur cherchait à s'en prémunir. Se lancer dans cette procédure de référé-suspension sans avoir au préalable eut l'habileté élémentaire d'abroger son propre arrêté municipal était bien sûr échouer d'avance. On aurait voulu perdre qu'on ne s'y aurait pas pris autrement...
4. L'INDEPENDANCE DU JUGE ADMINISTRATIF
Nonobstant, la très imparfaite indépendance du juge administratif en France doit de nouveau être évoquée (lire à ce sujet
notre article n° 195 consacré à la liberté d'aller et venir). Nous ne redirons pas que la séparation du droit administratif du droit commun est l'héritage de la Révolution autant que de l'hubris de l'Edit de Saint-Germain. Les multiples dénégations et autres réassurances d'indépendance d'esprit et d'impartialité du juge administratif doivent être comprise comme des "paroles d'honneur" dont seuls les plus crédules d'entre nous peuvent se suffire.
La plus haute juridiction administrative, le Conseil d'Etat, est ce Janus politique d'un autre âge, habile à défendre la hiérarchie des normes seulement quand celle-ci ne fait point ombrage à sa personnalité d'agent empressé du pouvoir exécutif selon l'expression que le jeune militant François Mitterrand employait pour qualifier le Conseil constitutionnel.
La proximité du juge administratif - diplômé de l'ENA ou détaché de l'administration et étant susceptible d'y retourner selon l'opportunité des promotions - avec l'administration est notoire, de sorte que les mauvais esprits inclinent à penser que, comme pendant la Révolution, c'est toujours l'administration qui se juge elle-même. Ce soupçon ne pourra être totalement effacé que quand les juridictions administratives auront été dissoutes dans celles du droit commun, en ajoutant simplement une chambre administrative aux tribunaux judiciaires comme il existe des chambres civile, commerciale, correctionnelle, sociale, etc. C'est ce que réclamait notamment le professeur de droit
Paul Cassia en 2018:
Document 8 du cours magistral de Béatrice Guillaumin à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne: Fiche 6: L'impartialité de la juridiction administrative.
En attendant, c'est au justiciable de lever puissamment son doigt à l'occasion d'une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) pour faire valoir des droits qui sont pourtant au sommet de la hiérarchie des normes et sont quotidiennement bafoués, tel, s'il fallait un exemple ordinaire, le très banal écriteau "BAIGNADE INTERDITE" dont seul le caractère provisoire pourrait soutenir la constitutionnalité. On notera que parmi les propositions légitimes de Paul Cassia figure aussi la permission pour le juge judiciaire de mettre en cause une loi qui ne serait pas conforme aux libertés fondamentales, puisqu'il a bien aujourd'hui la permission de mettre en cause une loi qui ne serait pas conforme aux traités internationaux, de sorte que le justiciable échapperait enfin au filtrage par le Conseil d'Etat de ses QPC, filtrage inventé uniquement en raison de l'effectif réduit du Conseil constitutionnel dans le but affiché d'éviter une saturation. La suppression du Conseil d'Etat entrainerait celle du Tribunal des conflits par l'unicité de la plus haute juridiction sous la forme d'une Cour suprême. On se souvient (relire notre article n°195) que c'est ce Tribunal des conflits qui, dès 2013, réduisit dramatiquement la compétence du juge judiciaire en matière de voie de fait administrative, jurisprudence controversée pourtant confirmée en 2017 puis 2018, qui dirige nos plaintes pour violation de nos libertés fondamentales vers la voie de garage d'une administration qui se juge elle-même.
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CONCLUSION
On le voit, c'est un euphémisme de dire que défendre nos libertés fondamentales inaliénables en France n'est pas une démarche au succès garanti, même quand on a raison en fait et en droit. Ceci montre qu'il faut soigner le choix de la procédure pour bénéficier de la pyramide de Kelsen, produire devant le tribunal les pièces étayant son argumentation, détruire la pertinence des pièces adverses, et - détail élémentaire, ne pas créer un arrêté municipal qui va devenir la pièce maîtresse de la partie adverse pour prouver que vous reconnaissez vous-même ce qu'il entendait démontrer. Le référé-suspension de la mairie de Saint-Christophe en Oisans était au mieux bâclé, au pire une mise en scène avec l'acolyte départemental afin d'édifier une population spoliée. Quand bien même serait-on, par exceptionnelle fortune, tombé sur un juge administratif amant de la liberté, celui-ci aurait-il pu sauver sa muse avec de tels outils? L'électeur de Saint-Christophe en Oisans devra bientôt faire preuve de clairvoyance dans le choix de son prochain édile puisque le retraité de l'ONF a depuis longtemps confirmé qu'il ne se représentera pas. Un seul successeur s'est déjà montré partout, avec ses entrées à la télévision locale et dans la presse depuis plusieurs années, Laurent Soullier, 62 ans, ancien CRS de montagne. Est-ce bien le profil idoine pour rétablir des libertés fondamentales ou n'est-ce pas là plutôt un CV de nouvelle créature du pouvoir?...
Le projet républicain, selon la formule de François Sureau, est d'organiser notre société autour de nos libertés, nullement autour de notre sécurité. Il importe de comprendre définitivement que la sécurité n'est pas une liberté fondamentale et que la liberté d'aller-et-venir et le droit de propriété lui sont supérieurs dans la hiérarchie des normes. En l'absence, c'est toute la pratique de l'alpinisme qui risque d'être réglementée comme le craignait la juriste Bénédicte Cazanave, ou plus récemment, l'alpiniste de haut niveau Christophe Profit dont les actions sur l'arête des Bosses au Mont-Blanc furent largement incomprises. Si l'on admet que l'argument sécuritaire justifie l'éclipse de nos libertés fondamentales, elles disparaîtront purement et simplement - car vivre comporte toujours des risques divers - comme c'est le rêve, depuis que l'humanité existe, de tous les totalitaires qui se sont succédés dans l'histoire. La différence avec eux, qui ont fini par échouer - a clairement averti Robert Francis Kennedy Jr., est que ceux d'aujourd'hui disposent de moyens techniques bien plus considérables. La Bérarde n'est pour eux qu'un laboratoire. S'ils réussissent à confisquer ce petit paradis de l'Oisans à la liberté, les "Bérarde" se multiplieront et tout déplacement dans la nature deviendra dérogatoire.
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DES ENCLOSURES AU NEO-PASTORALISME _ La mutation du
pastoralisme vers le très récent néo-pastoralisme promu avec insistance par
les instances globalistes est d'autant plus fâcheuse qu'elle
représente un contre-sens historique qui empêche d'en
saisir les enjeux, aussi bien pour nos libertés que pour les
difficultés sociales d'un territoire qui a fait l'actualité récente: la
Nouvelle-Calédonie.
Les deux libertés fondamentales que
sont la liberté d'aller-et-venir et le droit de propriété, aussi
légitimes l'une que l'autre, n'ont en effet cessé de s'affronter
dans l'histoire, son illustration la plus emblématique ayant été le problème des
enclosures dans l'Angleterre du XVIe siècle. Interdit d'héritier
mâle, Henri VIII, pourtant engagé dans une persécution des
luthériens, s'était lancé dans un schisme afin de pouvoir se
remarier avec sa maîtresse Anne Boleyn après annulation de son
mariage avec Catherine d'Aragon malgré l'opposition du pape (Clément
VII, qui devait aussi ménager ses relations avec le neveu de la
reine, l'empereur Charles Quint). A la suite de l'Acte de suprématie
de 1534, le clergé régulier est supprimé et ses biens vendus.
L'essor des marchands anglais, permis par les achats massifs des
«villes drapantes» de Flandre, les conduit à acheter
ces terres disponibles pour y élever le mouton. Commence alors le
grand mouvement des enclosures, repoussant le droit d'usage
communautaire et s'emparant des terrains communaux au détriment des
yeomen (les paysans propriétaires). Privés de la libre pâture, les
pauvres se multiplient. Vagabondage, brigandage, afflux des
miséreux vers les villes, poussent finalement la reine Elisabeth à
adopter la loi des pauvres en 1601 obligeant les villes à lever une
taxe des pauvres et à ouvrir des ateliers de charité occupant les
chômeurs. Si les enclosures permirent un premier essor économique
considérable de l'Angleterre qui accède au rang de puissance, il
n'alla donc pas sans sérieux dommages collatéraux.
Le même
phénomène d'évolution vers un droit de propriété exclusif de
servitudes que sont les droits d'usage coutumiers vit, en France, son affirmation par la Révolution, la Déclaration de 1789
consacrant, sous l'influence du courant physiocrate de Mirabeau père,
la propriété comme liberté fondamentale inaliénable. Un siècle
plus tard, la loi du 9 juillet 1889 relative au Code rural réaffirme
la nécessité moderne de la propriété individuelle en abolissant
le droit de parcours (vaine pâture réciproque entre les habitants
de deux communes différentes) et le droit de vaine pâture (liberté
de faire paître sur les terres quand elle ne produisent pas), mais
laisse la possibilité aux communes de maintenir le second. On peut
observer les débats d'alors entre le droit coutumier et le droit de
propriété grâce à Henri Guermeur : Parcours – Vaine
pâture, commentaire de la loi du 9 juillet 1989.
En
Nouvelle-Calédonie, on assiste aujourd'hui au même affrontement
avec «la faim de terre» des Caldoches et des nouveaux
arrivants de métropole aux importantes capacités financières qui
réduit gravement la proportion de terres dépendant du droit
coutumier, repoussant toujours davantage les Kanaks, dépourvus de
titres de propriété, vers l'extrémité pauvre et austère du nord de l'île.
L'affrontement trouve encore une riche illustration par le
western de Kevin Costner de 2003 intitulé Open Range dans lequel le
vieux cowboy raisonnable incarné par Robert Duvall considère
pourtant légitime de prendre les armes contre ceux qui prétendent
lui interdire la libre pâture le temps de traverser un territoire,
c'est-à-dire la remise en cause de sa liberté fondamentale
d'aller-et-venir.
On le voit, traditionnellement, la libre pâture,
dont le pastoralisme n'est qu'une version, revendiquait la liberté
d'aller-et-venir contre l'autre liberté fondamentale qu'est le droit
de propriété. Et c'est bien cette défense d'une liberté qui
rendait son combat légitime et lui donne, encore aujourd'hui, son
capital-sympathie dans l'imaginaire collectif. On comprend dès lors
l'usurpation de cette affection quand dans un monstrueux
renversement d'alliance, un néo-pastoralisme sous perfusion d'argent
du contribuable déploie sur le terrain ses chiens dangereux
interdisant au randonneur de passer par l'emploi de la violence!
Ce n'est plus alors une
liberté fondamentale qu'on défend, c'est au contraire une liberté
fondamentale qu'on bafoue. Bien plus, les Associations foncières
pastorales, présentées comme facilitatrices pour la rédaction des
baux, pouvant être des «établissements publics créés par
arrêté préfectoral pour la gestion pastorale du foncier public et
privé de montagne» (4e alinéa de l'article L.135-1 du Code
rural et de la pêche maritime), sont aussi des outils de
dépossession puisque les propriétaires inclus à leur corps
défendant dans leurs périmètres et n'ayant pas adhéré à leur
constitution, disposent d'un délai de trois mois pour demander à
être expropriés (article L.135-4 du même code). Mieux encore,
l'article en question termine ainsi : «En cas de
constitution d'office d'une association foncière pastorale, les
propriétaires qui n'ont pas donné leur adhésion lors de la
procédure préalable de constitution d'une association autorisée
peuvent délaisser leurs immeubles sans indemnité au profit de
l'association.» (sic)
En définitive, ce n'est plus à une lutte naturelle et légitime entre deux libertés fondamentales, la liberté d'aller-et-venir et le droit de propriété, qui doivent harmonieusement coexister, à quoi nous assistons aujourd'hui, mais au développement d'un outil totalitaire menaçant tout à la fois ces deux libertés fondamentales, pour le pire puisque drainant par surcroît l'argent public en pure perte.
Cette mise au point historique était nécessaire pour ne plus confondre à l'avenir pastoralisme et néo-pastoralisme, le second n'étant que l'imposteur du premier, et quasiment son contraire!