Voie normale des Rouies en fin de saison 202

Voie normale des Rouies

 La montagne des Rouies (3589m) est un peu, pour sa voie normale, le Gioberney du Valgaudemar: un sommet facile d'accès qui ne fait peur à personne. Il est possible de la parcourir tout l'été, le long couloir d'accès au plateau supérieur du glacier des Rouies, entièrement en neige pendant une grande partie de la saison, faisant place à un couloir de pierrailles stables et de petites dalles rocheuses faciles où de nombreux cairns disposés par des mains obligeantes guident vos pas nocturnes à la lumière des frontales. On la pratique d'ordinaire au départ du refuge du Pigeonnier (2423m) ou bien à partir de bivouacs situés à une encablure après celui-ci, sur la gauche en suivant la sente. Mais en fin de saison, ces bivouacs étant à sec de ruisseaux, il faut continuer son chemin encore une grosse demi-heure vers les torrents issus des Rouies pour trouver enfin le coin idéal: de l'eau à volonté, un emplacement de bivouac déjà ceinturé par son muret de pierres, une herbe presque plate voire horizontale et surtout non maculée par les crottes des moutons qui restent cantonnés aux parages du refuge; donc, ni mouches ni chiens dangereux, ce qui, par les temps qui courent, est une aubaine... La vue sur le versant nord du Sirac, insensible à la propagande climatique car invariablement plâtré de neige, est imprenable, et celle sur le lac du Lauzon invite à un futur bivouac dans ces parages très prisés, à raison, par les randonneurs.


Voie normale des Rouies

Voie normale des Rouies

Voie normale des Rouies

Du bivouac, on voit les premiers cairns se dirigeant vers la base - qu'il faut franchir - de l'arête sud du pic Ouest du Vaccivier (une arête qui est pour nous un souvenir déjà ancien de 2004 -1ère ascension par A.Gendarme et C.Picard en 1972, AD rocher, conseillée), mais il faudra surtout revenir dans quelques années pour parcourir la voie de 1935 du professeur de Gaston Rébuffat et rédacteur avec le commandant Pourchier du manuel d'alpinisme de 1943-46: Edouard Frendo, une belle "exploration" comme aimait qualifier Henry Duhamel (dont le nom est parfois donné au pic Ouest du Vaccivier car il en fit la première ascension  en 1878 par le col de la Muande Bellone) ses sorties en montagnes (lire sa biographie récemment augmentée à notre article n°70), où l'on se perd en général longuement de nuit dans le socle avant de rattraper le retard sur l'éperon franchi quatre à quatre à corde tendue, souvenir de 2010 (AD rocher, 900m donc engagement non négligeable, prévoir de quoi redescendre en cas d'échec: pitons, cordelette, canif).

Frendo accompagna notamment son talentueux élève Rébuffat dans la 2e ascension de la "Walker", voie Cassin de 1938, en juillet 1945. Quand l'élève dépasse le maître, c'est que le maître est bon...

A la mi-septembre, le soleil se levant tard, il est inutile de régler le réveil avant 5 heures pour un départ à 6 heures du bivouac, soit une heure de marche nocturne. Ceci à la condition de bénéficier d'un bon regel par un isotherme bas, bien inférieur à 4000m. Il faut d'abord suivre un long cheminement ascendant vers la gauche tout en passant à proximité du bas de l'arête sud du Pic Ouest du Vaccivier et poursuivre jusqu'à buter sur une paroi rocheuse zébrée de noir. On se trouve alors au pied du long couloir plus raide, en ascendance vers la droite.

Voie normale des Rouies

La sente (couloir de neige en début de saison) suit le fond du couloir, plutôt à gauche, jusqu'à parvenir au névé résiduel. Plutôt que de chausser ses crampons pour une courte durée, il est préférable de ne pas manquer deux petits cairns à droite, marquant un passage commode sur la rive gauche (c'est-à-dire à droite en montant) , ce qui permet de contourner le névé par la droite par une succession de rampes caillouteuses et de petites dalles rocheuses faciles.

Voie normale des Rouies

 Après avoir contourné le névé résiduel, on voit le couloir se transformer en gorge raide , étroite, encombrée de gros blocs, qu'il est sage de laisser à sa tranquillité. La voie traverse à gauche par des dalles en gradins, très faciles mais exposées. C'est le premier passage de la course où il est impératif d'être - non pas prudent comme le serinent tous les mauvais conseils - mais attentif et précis. Il n'est pas totalement superflu de redresser les cairns avachis en prévision du retour. On débouche ensuite sur le front du glacier qui est de plain-pied, l'endroit idéal pour sortir les baudriers légers de ski-alpinisme, chausser les crampons et s'encorder aux tiers, matériel de glacier à disposition sur les porte-matériels (broches à glace, une grande sangle et une petite, 4 mousquetons simples, 2 mousquetons à vis, anneau de Prusik, voire ti-block ou poulie autobloquante. Oui, il y a des crevasses, petites certes, mais on y passe la jambe entière plus souvent qu'à son tour... Encordement indispensable à moins d'être très joueur...

Voie normale des Rouies

Le glacier se remonte par un long mouvement tournant qui va d'abord vers la droite à proximité des rochers tombés de sa rive gauche ("Ce qui est tombé n'est plus à tomber" disait en substance le coriace André Bertrand à René Desmaison à leur première tentative de la face nord de l'Eiger quand des énormes blocs de rocher animaient leur retraite...), pour revenir bien plus haut vers la gauche par une trace suivant, mais beaucoup plus bas, la rimaye. Celle-ci se franchit invariablement à gauche. Ce 18 septembre 2025, elle était à peine ouverte, preuve que l'été n'a pas été sec au contraire des dires quotidiens de nos propagandistes complices.

Voie normale des Rouies

Voie normale des Rouies

Le passage de la rimaye ainsi que la petite pente de neige raide immédiatement au-dessus est le second passage où il faut être attentif et précis. On peut laisser l'un des bâtons télescopiques - voire les deux - plantés solidement  dans la neige pour manier plus facilement le piolet. On les retrouvera au retour. La corde n'a pas de mou dangereux au passage de la rimaye grâce à une progression du second qui accompagne soigneusement le rythme du premier de cordée. Celui-ci va bien vite se réfugier sur l'arête rocheuse à gauche pour se caler efficacement afin d'assurer le second à l'épaule.

Voie normale des Rouies
La rimaye est très belle. Ce n'est bien sûr pas là qu'on la franchit...

Voie normale des Rouies
...mais ici.

Quelques rochers enneigés faciles mais raides, c'est-à-dire ce qu'on appelle un passage de "mixte", restent à franchir pour arriver enfin au sommet où la vue, comme depuis la totalité des sommets du massif des Ecrins est immensément étendue. Vous voyez la planète entière et constatez qu'elle se porte toujours très bien, au contraire de vos libertés...

Voie normale des Rouies
René Vincent girl va sortir le mérité casse-croûte...

Voie normale des Rouies
La vue à l'endroit: trop facile

Voie normale des Rouies
Sur l'envers (vers le nord-ouest), on met davantage de temps à reconnaître tous les sommets. Comme le disait Rébuffat, on ira là, puis il faudra aller ici, puis encore là, on engrange des projets pour des années...

___________

1ère ascension des Rouies en nombreuse compagnie britannique et leurs guides suisses (Cox, Gardiner - promoteur et précurseur de l'alpinisme sans guide, Pendlebury, Taylor, Baumann H. et P., Knubel, Lochmatter) le 19 juin 1873.

Cotation: F Dénivelé du refuge du Pigeonnier au sommet: 1166 mètres. Horaire depuis notre bivouac en prenant son temps: 4h30

Matériel conseillé:

  • Baudriers légers de ski-alpinisme
  • 3 broches à glace pour la cordée
  • 4 mousquetons et 2 mousquetons à vis par personne
  • 4 grandes sangles et 2 petites sangles pour la cordée
  • 1 prusik par personne, voire un ti-block ou petite poulie autobloquante
  • 1 piolet par personne, crampons
  • 2 bâtons télescopiques par personne
  • 1 brin de corde à double 50m
  • 3 friends petits et moyens si la cordée est débutante
  • vêtements chauds selon isotherme 0°
  • lunettes de soleil
  • trousse de secours
  • morceau de carte IGN au 1/25000e, topo, boussole (à ne pas négliger par temps de brouillard sur un glacier plat, étendu et sans repères), montre-altimètre
  • vivres de course, gourde
  • lampes frontales rechargées
  • appareil photo
Voie normale des Rouies

Réglementation: Bivouacs sous tente autorisés dans le Parc National des Ecrins de 19h à 7h. Camping-Cars interdits dans le Valgaudemar uniquement au terminus de la route, c'est-à-dire le parking où se trouve le Chalet-Hôtel du Gioberney. Partout ailleurs, vous pouvez passer la nuit dans votre fourgon et les locaux sont d'ordinaire des gens pacifiques, avec une exception notable pour les chiens dangereux installés près du refuge de Vallonpierre (voir notre article n°189).

___________

Les randonnées dans la vallée de la Séveraisse ne manquent pas. Voir nos articles n°190 (lacs de Pétarel) et n°148 (lac Lautier et pic Turbat après la VN de la Cime d'Orgière).
Voir aussi "Rencontre à Takayama" de l'article n°126.

Lacs de Pétarel
Lacs de Pétarel